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Demain ressort en DVD et Blu-Ray le premier film de la période américaine de Paul Verhoeven, réalisateur connu notamment pour Robocop (dont nous avons chroniqué l’univers), Basic Instinct ou encore Starship Troopers. Je veux parler bien sûr de La Chair et le Sang.

Si nous avions déjà eu droit à un DVD il y a quelques années, il ne s’agissait que d’un pâle portage de la Zone 1, moins les bonus (dont une piste commentaire par le cinéaste lui-même). Le film arrive donc dans une édition légèrement augmentée, et offre de découvrir ou redécouvrir ce que certains considèrent comme un chef-d’oeuvre du cinéma.

Après plusieurs films réalisés dans son pays d’origine, Verhoeven commençait à faire du bruit à l’étranger. C’est donc tout naturellement que des studios américains (et Spielberg en personne) l’ont appelé afin de l’importer aux uhèssa. Sentant qu’il s’était fâché avec l’industrie néerlandaise (la faute à des films dépeignant une réalité peut-être un peu dérangeante), celui qu’on appelle aujourd’hui le Hollandais Violent décida de tenter le coup.
C’est ainsi qu’il se retrouva à réaliser La Chair et le Sang, film dont le scénario lui venait d’idées non utilisées pour une série qu’il avait réalisée bien des lunes auparavant, avec Rutger Hauer.

« Allez, fais pas la tronche, toi aussi, un jour, tu fendras des crânes. »
  • LE FILM

En 1501, en Italie, la peste fait rage. Un groupe de mercenaires engagé par un seigneur pour reprendre son château se voit trahi par ce dernier, et décide de se venger.

Dès les premiers plans, on a l’impression de voir un tableau. Rien d’étonnant, puisque Verhoeven est passionné de peinture. Passion qu’il a d’ailleurs mise à profit afin de créer ses costumes (il s’est en effet inspiré de peintures d’époques). La musique qui ouvre le film (le thème principal, en fait), fait en revanche assez cliché, et nous renvoie aux films chevaleresques des années cinquante-soixante. Cela jure énormément avec le film, qui n’a absolument rien à voir avec ces vieux films qui font sourire aujourd’hui.
Parce que le sentiment qui prédomine au visionnage de La Chair et le Sang, c’est le malaise. Sous plusieurs formes.
Tout d’abord, à cause de la violence. En effet, Verhoeven n’est pas connu pour nous conter des histoires de Bisounours se prélassant tendrement au soleil, sirotant des cocktails arc-en-ciel en taillant le bout de gras avec des petits poneys. Nononon. Ici, les guerriers s’étripent, un sourire sadique aux lèvres, les innocents prennent copieux, personne n’est épargné. Mais violence psychologique, aussi. Je pense notamment à la scène de semi-viol du personnage de Jennifer Jason Leigh, qui, malgré ses 23 ans, en parait à peine 15.
Ensuite, de par le fanatisme présenté dans le film. Notamment grâce au personnage du cardinal, membre de la troupe de mercenaires menée par Rutger Hauer et qui leur présente n’importe quoi comme étant un signe de Dieu qu’il faudrait suivre (ce qu’ils font, d’ailleurs, ces crétins lunaires). Ces scènes sont parfois presque dérangeantes, parce qu’elles sont ridicules. Mais ce ne sont pas les scènes à proprement parler qui le sont, plutôt ce qu’elles représentent.  Ensuite, le fanatisme envers le personnage de Martin, (Hauer, donc), que ses troupes suivent envers et contre tout, massacrant et pillant à sa guise, puisque présenté comme un envoyé du Seigneur. Rien d’étrange à cette critique du fanatisme, car Verhoeven est fermement opposé à toute idée de religion (dans l’entretien présent dans les bonus, il parle du Christianisme comme du « plus gros mensonge jamais inventé »).
Aussi à cause des personnages. Des pourris, il y en a. A la pelle. Et autant du côté du méchant seigneur que des mercenaires floués. Mais des gentils ?  Difficile d’en trouver.  Je n’irai pas jusqu’à dire que cela nuit au film, mais si, comme moi, vous aimez pouvoir vous identifier à un personnage lorsque vous regardez un film, vous pourriez être déçu. Même la « gentille » petite noble (Jennifer Jason Leigh), enlevée puis semi-violée, se révèle prendre un certain plaisir à vivre au milieu des mercenaires décadents, à tel point qu’il lui est difficile de choisir un camp lorsqu’il le faut. Quant au fils du méchant seigneur, que tout présente comme l’opposé de son tyran de paternel ? Lui aussi en vient vite à dévoiler sa part d’ombre. Parce que c’est ça, qui est au coeur de ce film, et de plusieurs films de Verhoeven. La part d’ombre qui se terre au fond de chacun de nous, et qui parfois nous anime. Dans La Chair et le Sang, tout le monde est détestable (à l’exception peut-être d’un personnage, qui cherche sa rédemption au long du film).

So romantic.

Mais l’autre forme de malaise qui nous saisit devant ce film, c’est celle qui nous vient devant le jeu des acteurs. Parfois exagéré, ou dans le mauvais ton, il est un frein à la totale adhésion au film. Comme l’explique le réalisateur dans l’entretien bonus, il parlait à l’époque assez mal anglais, et ne connaissant rien aux accents de phrase, par exemple, qui peuvent changer du tout au tout le sens de ladite phrase, par exemple. Il lui était donc très difficile de diriger correctement ses acteurs, ne pouvant juger exactement de ce qu’ils racontaient devant la caméra. Ajoutez cela à une troupe quasiment révolutionnaire à cause de conditions de tournage déplorables et d’un Rutger Hauer peu coopératif, et vous pouvez imaginer le gros lot récupéré par Verhoeven (à des lieues de se douter de ce qui l’attendait en acceptant un film qu’il rêvait de faire).

Au niveau du réalisme historique, on peut dire que le Hollandais a bien choisi son année. 1501 est au coeur d’une époque charnière dans l’histoire de l’Europe. C’est en effet en ce temps-là que le Moyen-Âge s’est lentement fondu dans la Renaissance. On sent cette transition dans les costumes, par exemple, où les deux « styles » se côtoient. Mais aussi dans les évènements ou personnages historiques évoqués. La peste, élément essentiel du film, remonte au quatorzième siècle, mais Leonardo Da Vinci, évoqué par l’un des personnages, couvre les quinzième et seizième siècles. Si Verhoeven n’a, de son propre aveu, pas voulu reproduire 1501, il a préféré reproduire une ambiance, une transition, une époque. Et c’est plutôt réussi.

La Chair et le Sang n’est pas le meilleur Verhoeven, loin s’en faut. La faute à une première production américaine, et à un tournage difficile, semé d’embûches, entre autres.
Mais ce n’est pas non plus le plus mauvais. S’arrêter à la première couche du film le fera passer pour ce qu’il n’est pas, un navet chevaleresque. Mais creusez un peu, retrouvez des références, des thèmes chers au Hollandais Violent, et vous vous retrouverez face à un film plutôt sympathique, mais ô combien décevant à la seule pensée de ce qu’il aurait pu être.

L’un des meilleurs moments du film.
  • L’IMAGE

Si le film sort en DVD et en Blu-ray, nous n’avons pu tester que le premier. Sur le plan visuel, le film accuse son âge, au risque de faire même un poil plus vieux. On plonge malgré tout quand même dans le film et sa vision sanglante et sans fard de l’époque.

  • LE SON

Si, là aussi, la piste VO fait légèrement vieille, elle s’écoute plutôt bien. Les musiques, bien que souffrant dudit vieillissement, restent plutôt pêchues. Rien de bien anormal pour un film de cette époque et de cette « catégorie ».
Evitez en revanche à tout prix la VF. Le son y est catastrophique. On sent qu’aucun effort n’a été fait de de côté-là. On retrouve une piste étouffée, doublée d’un doublage parfois misérable. Dommage. Mais semble-t-il assez courant de la part de la MGM qui délaisse sa clientèle européenne.

« Do you feel lucky, punk? »
  • LES BONUS

Enfin ! Enfin des bonus !
Bon, les quatre bonus cumulés ne suffisent pas à faire monter leur durée au-delà d’une heure, mais c’est toujours mieux que rien ! En plus d’un entretien d’une vingtaine de minutes avec Paul Verhoeven himself (très intéressant, autant sur le personnage que sur son film), le DVD nous propose deux petites vidéos, faites d’entretiens avec des historiens et autres spécialistes de cinéma (voire du réalisateur) pour nous permettre de mieux comprendre et cerner le film.
Enfin, la bande-annonce du film fait partie du lot.
Pas de making-of, en revanche, comme l’annonce Amazon sur la page du DVD…

Bouffe, c’est du belge. Enfin, du hollandais. C’pareil.

En résumé, rater ce DVD serait dommage pour un fan de Verhoeven n’ayant jamais vu La Chair et le Sang, et désirant découvrir un peu mieux ce réalisateur de talent.
Le profane ferait en revanche mieux de commencer sa filmographie par d’autres pièces que celle-ci, qui pourrait le décontenancer plus que l’intéresser, la faute à une qualité à l’image de la filmographie du Hollandais : en dents de scie.

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Un commentaire

  1. L’image blu ray, malgré une trés belle colo, une luminosité superbe et un piqué sympa, accuse un fourmillement plus qu’ excessif qui va décevoir les nombreux puristes. C’en est même honteux par moments.
    Du travail au rabais, donc.
    Un tel monument aurait mérité un bien meilleur traitement, surtout aprés cette attente de plus de 25 ans.
    L’illustration est hideuse (ils auraient pas pu reprendre la sublime affiche française ??) et la mention « Edition collector » n’est que du pur merchandising (il faut savoir qu’il n’y a que cette édition donc c’est trop rigolo ^^).

    Encore

Commentaires