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Un film espagnol, des enfants, un fond de guerre civile et de franquisme… Mais dites-moi, ça ne commencerait pas à sentir le réchauffé le cinéma de genre ibérique ? Et bien non ! Avec Insensibles, Juan Carlos Medina livre un premier film d’une beauté peu commune en début de carrière.

A la veille de la guerre civile espagnole, un groupe d’enfants insensibles à la douleur est interné dans un hôpital au cœur des Pyrénées. De nos jours, David Martel, brillant neurochirurgien, doit retrouver ses parents biologiques pour procéder à une greffe indispensable à sa survie. Dans cette quête vitale, il va ranimer les fantômes de son pays et se confronter au funeste destin des enfants insensibles.

On n’entendait plus que lui ! Son nom était sur toutes les lèvres ou presque, dans les couloirs. Présenté à l’étrange festival de Paris en septembre dernier, Insensibles avait gagné les faveurs d’une bonne partie du public. S’il n’a pas remporté de prix, le long métrage espagnol était pourtant dans beaucoup de cœurs festivaliers. A raison ?

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Entre terreur et mélancolie, portrait d’espagne

Au premier abord, on pourrait craindre un manque de renouvellement du cinéma espagnol : des films de genre sur fond de guerre civile, de franquisme ou d’enfants, ou alors mélangeant tout cela, ce n’est pas comme si on n’en avait pas déjà vu : L’échine du Diable et Le labyrinthe de Pan viennent, entre autres, rapidement à l’esprit.

Pourtant, Medina livre bel et bien son propre film, sans singer ses aînés, et mélangeant avec subtilité le drame, l’histoire, et le fantastique. Un aspect fantastique du long métrage qui reste moins omniprésent que dans les précédentes œuvres citées. Jouant sur deux axes narratifs – le premier portant sur le destin de ces enfants insensibles à la douleur, le second sur la quête, de nos jours, d’un médecin – qui s’entrecoupent régulièrement, l’aspect fantastique du récit se distille donc au fur et à mesure, intervenant essentiellement pour les scènes passées mais coupées par un traitement plus réaliste de l’histoire personnelle de David.

En partant à la recherche de son passé, David va réveiller des secrets bien enfouis.

Pour autant, ce fantastique en filigrane permet au contraire au réalisateur de créer, lentement mais surement, une créature terrifiante, une métaphore cauchemardesque et en même temps innocente de l’histoire espagnole. Berkano, puisque c’est son nom, marque les esprits en infligeant des souffrances qu’il est lui même incapable de ressentir, et se veut ainsi une parabole habile d’une Espagne tourmentée. Impossible en effet de haïr cette créature à la fois terrifiante et belle, dont l’histoire tragique nourrit l’empathie à son égard bien, qu’elle ne puisse désormais être que douleur.

Jouant sur ses deux temporalités, le réalisateur livre ainsi un poème sur l’acceptation d’un passé douloureux, nécessaire à la construction de sa propre identité, et seule condition pour pouvoir continuer à vivre et aller de l’avant. Une poésie qui prend tout son sens lors du très beau dernier acte, qui termine le film comme il a commencé : au milieu des flammes et dans la mélancolie – quelque part la seule douleur que nos enfants insensibles peuvent encore ressentir.

Contrairement aux apparences, Insensibles n’est pas une préquelle sur la jeunesse d’Hannibal Lecter.

Un premier film maîtrisé

Surfant sur son propre rythme, Insensibles offre donc un nouveau traitement pour des thèmes déjà utilisés par le cinéma de genre espagnol. Et comme si cela ne suffisait pas, Juan Carlos Medina nous propose en plus une copie impeccable : image sublime, réalisation maîtrisée, on aurait presque du mal à croire qu’il s’agit seulement d’un premier film. Dès les premières scènes, une intro « du feu de dieu », la beauté plastique d’Insensibles nous saute aux yeux pour ne plus nous lâcher jusqu’à la dernière scène.

Tant dans les scènes liées aux enfants insensible que dans sa partie plus moderne, le réalisateur fait donc preuve de maîtrise. Une maîtrise qui est certes une qualité, mais aussi le principal défaut du film : alors que son récit est porteur d’une puissance évocatrice très forte, l’ensemble du film manque parfois d’émotion.

En témoigne la scène de l’accident, qui semble très « froide » et laisse le spectateur quelque peu en dehors du récit. Ainsi, à trop maîtriser son ouvrage, mais aussi en alternant classiquement, de façon linéaire, le déroulement de ses deux axes narratifs, Juan Carlos Medina laisse quelque peu de côté toute l’émotion et la force que pourrait véhiculer une telle histoire au profit d’un beau livre d’image qui se déroule devant nos yeux, et dont la conclusion se laisse quelquefois suggérer en cours de chemin. Néanmoins, cela s’améliore au fur et à mesure que le film avance, notamment avec l’apparition de sa superbe Némésis.

Le tragique sort réservé aux enfants insensibles…

Hormis ce léger point, Insensibles n’en reste pas moins un superbe film, plaisant à voir, et qui évite la redite en proposant une approche différente d’une thématique pourtant déjà évoquée à plusieurs reprises. Mettant sur un même plan la quête individuelle d’un médecin confronté à sa propre paternité ‘imposée’, alors que sa propre identité est remise en question, et une variation sur la page la plus sombre de son histoire, c’est tout l’héritage ambivalent d’un pays qui se retrouve ici incarné dans une longue métaphore. Jamais donnée, la parabole se constitue peu à peu sous nos yeux, au travers du déroulement de ces deux axes qui finiront par culminer ensemble.

Une fois de plus, le cinéma de genre Espagnol montre qu’il a de la ressource et sait exploiter à merveille son histoire et ses tourments pour mieux la regarder en face et livrer des pellicules indiscutablement au dessus de la mêlée dans le paysage actuel du cinéma de genre.

Sur un sujet qui, au premier abord, fait craindre la redite, Insensibles propose une approche qui lui est proche, entremêlant avec beaucoup de subtilité différents genres. Il en ressort une maîtrisée, peut être un peu trop, qui manque parfois de spontanéité, mais qui n’en reste pas moins un sublime film à forte puissance évocatrice. Gageons que ces très légers points sauront être corrigés dans les prochains travaux du réalisateur. Car pour un premier film, Insensibles est très clairement une œuvre mature et aboutie, très belle mise en abîme de l’histoire espagnole et de sa douleur. Un film orfèvre dont il serait dommage de se priver sur grand écran !

Insensibles, de Juan Carlos Medina, avec Alex Brendemühl, Tomas Lemarquis, Derek de Lint. Sortie le 10 octobre 2012.

Tags : BerkanoEchine du DiableÉtrange Festival 2012Guillermo Del ToroInsensiblesJuan Carlos MedinaLabyrinthe de Pan
Jérémie

Gentle Geek Jérémie

Consequences will never be the same !

2 commentaires

  1. Bonjour,
    J’aimerais savoir qui est l’actrice qui joue le role de  » la femme » de Berkano.

Commentaires