Quelques mois seulement après la sortie en salle du très bon Kill List et sa récente sortie en DVD, le nouveau film de Ben Wheatley débarque à son tour sur nos écrans. Délaissant l’univers pesant et étrange de Kill List, le réalisateur Britannique nous livre comédie noire. Confirmation ou déception ?
Tina a toujours mené une vie paisible et bien rangée, protégée par une mère possessive et très envahissante. Pour leurs premières vacances en amoureux, Chris décide de lui faire découvrir l’Angleterre à bord de sa caravane. Un vrai dépaysement pour Tina. Mais très vite, ces « vacances de rêve » dégénèrent: touristes négligents, ados bruyants et campings réservés vont rapidement mettre en pièces le rêve de Chris et de tous ceux qui se trouveront sur son chemin…
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Il ya du Alex de la Iglesia chez Ben Wheatley. Non pas que les deux cinéastes soient similaires, mais le parcours du réalisateur Anglais semble prendre une tournure proche de celle du réalisateur de l’immense Balada Triste : passant de films oppressants et mystérieux à des comédies noires brillantes sans montrer l’once d’une difficulté… Car disons le tout net : Touristes est un excellent film. Si le pitch peut sembler peu aguicheur au départ, il serait dommage de passer à coté de cette pépite d’humour noir.
Murder is green !
Des amants criminels qui prennent la route et sèment les cadavres, le sujet peut sembler rebattu… Qu’à cela ne tienne, Touristes, s’il n’est pas le film original du siècle, évite le sentiment de déjà vu en se focalisant quasi-exclusivement sur le parcours de ses deux personnages centraux. Ici, pas de rupture de ton rocambolesque, de traditionnelle course poursuite avec la police (même si ses personnages la fuie) : Ben Wheatley maintient tout au long de son film une cohérence de l’univers et un cheminement logique dans la trajectoire des deux promeneurs. Autre point de démarquage : ici, les meurtres perpétrés par nos deux amants ne sont jamais l’œuvre d’un besoin de survie ou du cynisme des personnages. En effet, Chris est persuadé du bien-fondé de ses actions meurtrières et qu’elles sont un réel service rendu à l’humanité.
Cette force de conviction des personnages donne ainsi au film une bonne partie de son humour, à l’instar de cette scène hilarante où notre couple, afin de se trouver les excuses les plus invraisemblables pour justifier un meurtre, élaborent une théorie sur la réduction des gaz à effets de serre et déduisent que « le meurtre, c’est écolo » (murder is green). Car bien que grinçant et parfois violent, Touristes n’en reste pas moins extrêmement drôle. Du trauma de Tina liée à son chien, en passant par les remarques acerbes de Chris, ou tout simplement les situations décalées, Touristes distille sans arrêt un humour noir, ô combien efficace.
Blanche-Neige au pays du camping
Car l’autre point fort de Touristes réside clairement dans la qualité de ses dialogues et de son interprétation. Les nombreuses saillies d’humour sombre ne sauraient faire mouche si la qualité d’écriture n’était pas au rendez-vous. Ici, chaque réplique, chaque dialogue, fait mouche, provoquant tour à tour un rire jaune, une sensation de malaise, ou tout simplement une quasi-adhésion aux principes défendus par Chris, à défaut d’adhérer à sa méthode. Auteurs du scénario, les deux personnages centraux interprètent leurs personnages avec brio à l’écran et parviennent à les rendre à la fois attachants et inquiétants, mais surtout d’une cohérence sans faille : l’ensemble des meurtres commis passerait presque inaperçu tant les personnages et leur logique sont bien amenées, à tel point que les actes de violence dont ils font preuve semblent parfaitement « logique » compte tenu de leur cheminement, sans pour autant que le spectateur les cautionne. Rendre attachants et ambiguës des personnages de Monsieur tout-le-monde, voila l’un des tours de force du film.
Mais plus qu’un road movie ou une comédie noire, Toursites peut également être perçue comme une fable, un conte de fée dont le déroulement et les valeurs seraient prises… à l’envers ! En effet, difficile de ne pas voir dans le parcours de Tina, trentenaire surprotégée et n’ayant pas totalement grandie, des ressemblances avec ces héroïnes de contes qui passent à l’âge adulte au gré de leurs aventures. Confrontée à la violence d’un monde qu’elle n’a jamais réellement prit la peine d’explorer, Tina va se chercher, adopter certaines postures pour ne finalement prendre conscience de sa place qu’aux touts derniers instants du film. Mais l’analogie s’arrête ici, tant le reste s’apparente à un retournement des contes : plutôt que de combattre pour retrouver la lumière, nos protagonistes vont plutôt pousser leur spirale et logique jusqu’au bout. Plutôt que de retrouver un royaume enchanté, nos personnages ne cesseront de côtoyer la gadoue de la campagne anglaise, quand bien même certains sites seraient tout simplement somptueux. Et même dans ces panorama sublimes, plutôt que l’émerveillement, la violence et la mort seront sans arrêt provoquées par nos tourtereaux.
Avec Touristes, Ben Wheatley continue son bonhomme de chemin cinématographique avec une excellente comédie noire, mordante, qui confirme la montée en puissance du cinéaste. Sur un sujet offrant de nombreuses possibilités de redite (le thème des amants criminels sur fond de road-movie est loin d’être nouveau), Ben Wheatley évite les pièges en gardant son histoire centrée sur ses personnages et offrant une sorte de « conte de fée » à l’envers, véritable discours sur la force des convictions et des valeurs, où la campagne remplace le faste des palais royaux, la désillusion supplante l’enchantement, et la mort le baisé salvateur. A voir absolument.
Touristes (Sightseers), de Ben Wheatley, avec Steve Oram et Alice Lowe. Sortie le 26 décembre 2012.
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