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Nom de Dzeusse, Smartiz ! Catastrophe ! Le film de Jacques Tourneur, Rendez-vous avec la peur, est sorti dans une édition DVD+Blu-ray en 2013, alors qu’il date de 1957 ! On s’est encore planté dans les dates ! Mais non, Doc, rassurez-vous : le film vient de connaitre sa première édition en vidéo, chez Wild Side, le 27 novembre dernier. Et vous savez quoi ? Ils le dissèquent sur GentleGeek !

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[styled_box title= »Rendez-vous avec la peur, de Jacques Tourneur » class= » »]Le professeur Harrington trouve la mort dans de mystérieuses circonstances après avoir publiquement accusé le docteur Karswell, spécialiste en sciences occultes, de charlatanisme. Un confrère de la victime, l’éminent savant américain John Holden, enquête sur sa disparition. Lorsqu’il rencontre Karswell, celui-ci tente de l’effrayer : il ne lui resterait que 3 jours à vivre…[/styled_box]

Rendez-vous en terre inconnue

[quote_left]Et si on effectuait un petit voyage dans le passé fantastique ?[/quote_left]Et si on effectuait un petit voyage dans le passé fantastique ? Car bien avant la vague de film de genres menée par Laugier, Aja, ou encore Xavier Gens, le cinéma français avait autrefois un artisan discret mais réputé. Expatrié à Hollywood, où il passa la grande partie de sa carrière, Jacques Tourneur reste surtout connu pour son film La féline. Mais aujourd’hui, un autre film, considéré comme l’un de ses films phares , est ressorti dans une édition DVD + Blu-ray + livre. Alors que le nom de Tourneur n’est pas souvent cité parmi les influences de nos cinéastes modernes, la curiosité nous pousse forcément à découvrir ce qui se révélera être le dernier film marquant de son auteur, présenté aujourd’hui comme culte.

img_rdv3Pourtant, les choses commencent plutôt mal dans ce Rendez-vous avec la peur : dès les premières minutes, moyennant un effet de lumière très réussi, apparait pourtant une horrible créature en caoutchouc. Un peu pataude et mal articulée, on est d’abord surpris de voir cette espèce de morceau de caoutchouc tout droit sorti d’un creature feature de seconde zone. De plus, son apparition si rapide, et le fait qu’elle soit dévoilée entièrement, sans suspense, contredit un peu l’esprit « insidieux » et progressif sur lequel est vendu le film. On nous aurait menti ? La réponse nous apparaitra bien plus tard : un producteur est passé par la… En attendant, le film est à peine entamé, que déjà on a le sentiment que la créature dénote. Sentiment qui va, heureusement, se confirmer par la suite.

Car si le titre français du film, Rendez-vous avec la peur, ne fait pas mention de la créature contrairement à son titre original (Night of the demon), c’est qu’il y a bien une raison. Même le titre du scénario définitif, The Bewitched (L’ensorcelé), n’y fait aucune référence. Ne vous laissez donc pas surprendre par ce morceau de caoutchouc difficilement articulé, le reste du film n’a absolument rien à voir.

Hein, quoi, il avait pas dit "circulez, y'a rien à voir ?"
Hein, quoi, il avait pas dit « circulez, y’a rien à voir ? »

Adapté d’une nouvelle de Montague R. James, Rendez-vous avec la peur s’intéresse au Professeur John Holden (Dana Andrews), cartésien pur et dur, venu participer à un congrès en Angleterre. Apprenant le décès mystérieux d’un confrère, qui enquêtait sur le Docteur Karswell et ses supposés pouvoirs surnaturels, Holden décide de reprendre l’enquête. Mais Karswell lui annonce alors qu’un sort lui a été jeté et qu’il ne lui reste plus que 3 jours à vivre.

[quote_left]Tourneur ici, c’est le vacillement de ses personnages[/quote_left]A partir de ce postulat, Tourneur développe ainsi un récit ou peu à peu, Holden va perdre ses repères face aux manifestations d’un monde dont il ne soupçonnait pas l’existence, engoncé dans ses certitudes. Plus qu’une histoire de démon, dont il est au final très peu questions, ce qui intéresse Tourneur ici, c’est le vacillement de ses personnages, l’affrontement de deux visions du monde qui tourne très vite au défi, et l’ouverture de l’un deux à un monde inconnu qu’il ne soupçonnait pas. Dans ce conflit, que l’on pourrait très facilement rendre actuel, entre la rationalité pure et l’existence d’un monde parallèle (hypothèse à laquelle Tourneur adhérait), le cinéaste se garde bien de livrer un récit explicatif et manichéen. Chacune des deux parties se retrouve face à leurs contradictions : ainsi, l’un fera les frais de ses propres croyances tandis que l’autre sera amené à réviser sa position. De même, dans le traitement des personnages, Tourneur parvient à nuancer suffisamment ses personnages pour les humaniser : le Docteur Karswell, présenté comme sataniste et adorateur de magie noire, orgueilleux, est aussi terriblement humain au point d’en venir en aide aux enfants d’un orphelinat. A l’inverse, le personnage suffisant et pétri de certitudes de Jon Holden admet aussi à un moment « n’avoir qu’une seule superstition« , ou croit en l’hypnose, ouvrant ainsi une brèche dans le raisonnement pourtant présenté comme infaillible de ce dernier.

La scène d'hypnose, l'un des moments forts du film
La scène d’hypnose, l’un des moments forts du film

[quote_right]Tout ce qui relève du surnaturel restera donc soumis à l’imagination pure et simple du spectateur.[/quote_right]Pour autant, le ton du récit peut parfois sembler en décalage avec cette intention globale : les apparitions du monstre, l’attaque du chat-panthère, le dénouement, particulièrement explicites, laissent étonnamment peu de doute au spectateur là où les personnages semblent encore nager en pleine confusion. La faute à un producteur ayant la main mise sur le montage et ayant fait tourner des scènes supplémentaires sans l’avis de Tourneur dont les effets seront relativement désastreux sur le film. En effet, hormis ces quelques effets de styles, rien dans le film de Tourneur ne laisse transparaitre une quelconque vision concrète de ce monde parallèle, dont seuls des fragments nous apparaissent : une distorsion d’image, une main au coin d’un escalier, et un halo de lumière. Rien d’autre. Tout ce qui relève du surnaturel restera donc soumis à l’imagination pure et simple du spectateur.

[quote_left]la conception du fantastique selon Tourneur a été reprises de nombreuses fois de nos jours[/quote_left]Si l’on fait donc fit des quelques choix indépendants du réalisateur, Rendez-vous avec la peur reste un film d’excellente facture. Son côté daté d’un point de vue scénaristique ne lui donne peut être pas aujourd’hui la même force qu’il aurait eu lors de sa sortie, surtout dans l’ère des films à twists (à Saint Tropez). Pour autant, la conception du fantastique selon Tourneur a été reprises de nombreuses fois de nos jours, par exemple dans le Jusqu’en enfer de Sam Raimi, qui ne dévoile à aucun moment sa créature – le Lamiah – ou son monde parallèle, laissant le spectateur se tourmenter tout seul. Il est donc nécessaire de replacer Rendez-vous avec la peur dans son contexte et se souvenir de l’antériorité de son discours pour ne pas le juger trop vite.

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[quote_right]D’un point de vue technique, Rendez-vous avec la peur a la grande classe[/quote_right]D’un point de vue technique, en revanche, la discussion est beaucoup plus simple : Rendez-vous avec la peur a la grande classe. Les amateurs de films en Noir et Blanc comme les autres apprécieront la superbe qualité d’image, le rendu des noirs, les nuances, contrastes, etc. L’image est tout simplement belle, les cadrages limpides, et le film propose par ailleurs une profondeur de champs qui lui permettra de délivrer ses plus belles scènes, lorsqu’Holden explore le manoir de Karswell, traverse la foret, ou encore l’effet précédant l’apparition de la créature caoutchouc, qui est lui particulièrement réussi. De même, les jeux d’éclairage et de lumière viennent particulièrement servir le propos du cinéaste, relatif au combat entre l’obscurité et la lumière. Du côté des décors, également, un travail de fond a été réalisé, donnant des appartements aux traits strictes et à la lumière blanche pour Holden, une architecture moins linéaire et plus antique pour l’énigmatique Karswell.

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[quote_right]le film fantastique, s’il est bien fait, éveille dans l’esprit du public les peurs qu’il ignorait avoir en lui, et cette découverte le fait frémir[/quote_right]Rendez-vous avec la peur possède indéniablement le charme désuet des vieux films Noir et blanc et les caractéristiques du cinéma de l’époque : premier rôle tenu par une « gueule », celle de Dana Andrews et de ses intonations en accord avec son personnage. Des seconds rôle féminins surtout présents pour tenir une légère compagnie romantique au héros (la ravissante et discrète Peggy Cummins), à l’exception du personnage de la mère de Karswell, à l’intervention décisive. De la vision du film, on retient donc son côté archétypal, y compris dans son histoire, sa musique typique des productions de l’époque, mais qui pour autant se veut un réel plaisir à suivre et qui proposait à l’époque sa propre approche du fantastique, éloignée des standards Hollywoodiens « d’entertainment ». En effet, techniquement sublime malgré un budget moyen, Rendez-vous avec la peur proposait une alternative à un cinéma fantastique beaucoup plus démonstratif et visuel, un propos qui serait encore valable aujourd’hui à l’heure ou les étalages gores (même si on aime bien ça aussi parfois) se sont multipliés. Tourneur préférait en effet le pouvoir de la suggestion à celui de l’exposition. Il en allait pour lui de l’efficacité d’un film, où pour frissonner, le spectateur devait s’identifier à des personnages réalistes – donc modérés – et ouvrir des portes auxquelles il ne croyait pas lui même : « le film fantastique, s’il est bien fait, éveille dans l’esprit du public les peurs qu’il ignorait avoir en lui, et cette découverte le fait frémir. »

[styled_box title= »En conclusion » class= »sb_orange »]En proposant un film techniquement soigné, et en développant une approche plus psychologique du fantastique, Jacques Tourneur signe ici avec Rendez-vous avec la peur, un film plus personnel qu’il n’y parait, mais un très bon film de genre de sa décennie. Martin Scorsese en parle lui-même comme d’un film qui l’aura marqué dans sa jeunesse. Malgré un scénario dont l’impact est forcément moins fort aujourd’hui, et en dépit de quelques scènes qui ne collent pas avec le ton global du film, mais que l’on oublie facilement, Rendez-vous avec la peur reste un film à la facture technique toujours impressionnante, et relativement peu connu ou cité de nos jours, à l’image de son réalisateur, souvent réduit comme l’homme d’un seul film. Sans compter le plaisir de profiter de l’ambiance si particulière des films en Noir et Blanc aujourd’hui. L’occasion est donc donnée de jeter un coup d’œil mérité à cette œuvre dans son montage le plus complet et en version originale, aucun projet de remake n’ayant encore abouti (ouf !). Et puis un film qui a été parodié dans le Rocky Horror Picture Show ne peut être que culte ![/styled_box]

Soon...
Soon…

Tournez la page, mon cher Tourneur

En plus d'un master HD du plus bel effet,  le DVD porpose chapitres, piste audio et FR et VOSTFR.
En plus d’un master HD du plus bel effet, le DVD porpose chapitres, piste audio et FR et VOSTFR.

Petite exception sur cette édition, aucun bonus à proprement parler n’est proposé sur le DVD ou sur le Blu-ray du film. Absence étrange de la part de l’éditeur, faute de matériel disponible sur le film peut être ? Pas de making-of ou documentaire sur la façon de travailler de Jacques Tourneur, ou de module pour découvrir cet homme modeste qui avait acquis sa réputation au sein de la machine hollywoodienne de l’époque. Pour autant, on ne reste pas non plus orphelin, puisque le Blu-ray propose, en plus du film original, le film dans son montage américain, moins riche que la version présentée par défaut sur chaque galette, mais à un intérêt forcément plus limité pour qui ne souhaite pas se lancer dans un travail comparatif. Mais surtout, un livre de 128 pages, Le versant crépusculaire, vient compléter la vision du film.

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  • Le versant crépusculaire : Rédigé par Michael Henry Wilson, passionné d’histoire et de cinéma, et qui a déjà rédigé un ouvrage sur Tourneur, Le versant crépusculaire est le complément idéal au film. Ne se contentant pas d’évoquer que le film, Wilson resitue au contraire le long métrage dans l’ensemble de l’œuvre de Tourneur, évoquant sa conception du fantastique, comment elle s’incarne dans plusieurs de ses métrages. Dans un style très limpide et digeste, l’auteur évoque ensuite l’ensemble du parcours de production du film, abordant d’abord l’adaptation de la nouvelle, les différences avec le script du film, pour ensuite évoquer la production du film lui même, toujours en lien avec la vision du cinéma de Tourneur, ses croyances personnelles, ses expériences, mais aussi en s’intéressant aux sources d’inspiration pour la conception de tel ou tel décors, des effets spéciaux, du monstre, et enfin en abordant les rapports houleux avec le producteur et les fameux rajouts post tournage. Les nombreux détails du film sont ainsi expliqués, de façon précise, documentée, mais claire : on y apprend par exemple l’affection qui unissait Tourneur et son acteur principal, Dana Andrews, la préférence de Tourneur pour tout ce qui était suggéré, ou son souhait de rendre ses personnages identifiables et humains plutôt que sans ambigüité. Composé de nombreuses photographies, et d’une collection d’affiches du film, le livre évoque même la fin de carrière du cinéaste, Rendez-vous avec la peur étant le dernier « grand » film qu’il ait pu réaliser. A défaut de bonus audiovisuels, le livre se révèle un complément qui les surpasse et remplit parfaitement son rôle en allant plus au fond de son sujet. Un livre qui vous permettra de tout savoir sur ce film aujourd’hui peu connu, d’un réalisateur trop peu cité.

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Extrait du livre "Le versant crépusculaire"
Extrait du livre « Le versant crépusculaire »

Rendez-vous avec la peur, de Jacques Tourneur, avec Dana Andrews, Peggy Cummins, Niall Mc Ginnis. Disponible en édition DVD + Blu-ray + livre depuis le 27 novembre.

Tags : Blu-rayCritiqueDana AndrewsdvdJacques TourneurMichael Henry WilsonMontague R. JamesNiall McGinnisNight of the demonPeggy CumminsRendez-vous avec la peurWild Side
Jérémie

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