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Et si dune n’avait pas été ce navet Lynchien, mais bien un film d’une toute autre envergure ? C’est ce que nous propose d’explorer Jodorowsky’s Dune, un documentaire de Frank Pavich, qui s’intéresse au parcours surprenant de ce projet du temps où il était entre les mains du réalisateur Franco-Chilien.

Il y eut L’homme qui tua Don Quichotte, il y a aujourd’hui Dune, version Jodorowsky. Car avant d’être ce film de David Lynch qui a divisé, le projet d’adaptation du célèbre ouvrage de Frank Herbert, un des monument de la Science-Fiction, était aux mains du réalisateur d’El Topo. Et comme le film de Terry Gilliam, qui ne vit jamais le jour en raison de nombreux incidents de tournage, ce projet d’adaptation né s’inscrit au panthéon de ces films maudits, ces films fantasmés que l’on aurait aimé voir aboutir à l’époque mais qui, à un moment donné dans leur parcours, ce sont vu mis à mort. Projeté hier à l’Etrange festival, Jodoroswky’s Dune nous offre une plongée au cœur d’un projet aussi fou que son réalisateur.

Tourné entre la France, l’Angleterre, la Suisse et les États-Unis, ce fascinant documentaire raconte la tentative d’adaptation don quichottesque du célèbre roman de Frank Herbert Dune, par Alejandro Jodorowsky en 1974. Après deux années d’une préproduction titanesque, le projet tomba finalement à l’eau. Cependant les artistes réunis autour de ce projet continuèrent à travailler ensemble. Au-delà d’un remarquable travail d’enquête, un témoignage magnifique sur la rage de créer et les problématiques rencontrées par tous les artistes visionnaires.

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« J’ai violé Frank Herbert »

img_dune6Imaginez, une adaptation de Dune, qui comporterait dans son équipe technique Dan O’Bannon (scénariste d’Alien, réalisateur du Retour des Morts-Vivants), H.R. Giger, papa de la créature d’Alien, et Moebius, célèbre dessinateur Français. Imaginez qu’au casting se serait trouvés David Carradine, Mick Jagger, Orson Welles, Udo Kier, Amanda Lear, Salvador Dali, et que la musique aurait été signé en partie par Pink Floyd. Voila ce à quoi aurait ressemblé le Dune de Jodorowsky.

Appétissant ? Attendez un peu d’avoir vu le documentaire de Franck Pavich sur la question. Projeté dans le cadre de la sélection documentaire de l’Etrange festival, Jodorowsky’s Dune est assurément celui qui a le plus retenu l’attention. De par son sujet, passionnant, le projet titanesque qu’il laisse entrevoir, mais aussi par ses nombreuses anecdotes improbables.

Car fou, il fallait l’être à l’époque pour oser s’attaquer à Dune. D’autant plus quand le réalisateur lui-même avoue, face caméra, qu’il n’avait pas la moindre idée de ce dont parlait le livre, ni de qui était son auteur ! Des propos qui feraient bondir n’importe qui aujourd’hui, tant les moindres annonces de casting, de choix de réalisateur, d’adaptation, sont critiquées, disséquées, analysées avant même les débuts des tournages.

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L’aveu est on ne peut plus clair.

Seulement voila : Alejandro Jodorowsky, réalisateur d’El Topo et Santa Sangre, et père des Midnight Movies, est d’une autre trempe. Ayant la chance de réaliser un documentaire dont le protagoniste principal et plusieurs de ses collaborateurs sont encore en activité, Frank Pavich laisse libre cours à Jodorowsky pour conter la formidable épopée de ce projet, lancé en 1974, mais tué deux ans plus tard alors qu’il était sur le point d’éclore. Et la volubilité et le charisme du l’artiste y sont pour beaucoup dans la réussite de ce documentaire : pendant 1h30, Jodorowsky déballe tout – anecdotes de rencontres, méthode de travail, intentions du projet – avec une générosité telle qu’on finit par imaginer soi même le film dans sa tête, et à souhaiter sincèrement que ce projet ai abouti.

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La preview donné à coup de photograhies, dessins et story-board ultra-rares (seuls 2 exemplaires du « livre de travail » de Dune existent encore dans le monde) nous en convainc : « Jodo » était l’homme de la situation, lui qui avait pour ambition de réaliser « le plus grand film de tous les temps« , « un film qui ferait ressentir au spectateur les effets de la prise de LSD, la consommation de drogue en moins« . Un artiste sincère et engagé, qui n’hésita pas à transformer à sa manière certains passages du livre pour en faire une œuvre métaphysique et spirituelle. Le réalisateur s’amuse même à déclarer avoir du « violer Frank Herbert » (artistiquement, on vous rassure) pour accoucher de sa propre vision du film et faire de Dune non pas une adaptation stricte du livre, mais bien une retranscription sauce Jodo.

Un tournant dans le monde de la SF

Académique dans sa forme, le documentaire aligne ainsi les témoignages du réalisateur, mais aussi de nombreux collaborateurs : Chris Foss, Amanda Lear (oui, oui !), H. R. Giger, toujours en vie au moment du tournage, Michel Seydoux, producteur et ami de Jodorowsky, mais aussi des témoignages audio de Dan O’Bannon, décédé quelques années avant la finalisation du documentaire. Une histoire structurée de façon linéaire et progressive, mais dont le classicisme ne gêne en rien tant les propos tenus sont riches et détaillés et les nombreuses illustrations rendent le documentaire très ludique : le sujet ne nécessite au final aucun artifice tant le propos se suffit à lui-même et passionne.

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De plus, Jodorowsky’s Dune ne se contente pas d’être une simple évocation de ce projet méconnu à classer parmi les films maudits du cinéma. Jodorowsky’s Dune est aussi un témoignage, un questionnement, et une philosophie. Un témoignage tout d’abord, celui d’une époque où, à l’heure où la science fiction venait de trembler avec 2001 l’Odyssée de l’espace mais n’avait pas encore connu Star Wars, la créativité artistique et le champ des possibles semblait infini. S’il serait aisé de réaliser aujourd’hui Dune tel que l’auteur de Santa Sangre l’avait conçu, il représentait cependant un réel challenge artistique pour l’époque qui aurait pu donner un tout autre sens à l’histoire du cinéma s’il avait vu le jour. Le film témoigne également d’une époque où les milieux artistiques foisonnaient de créativité, et se trouvaient incarnés par des personnalités hautes en couleur. On découvre avec une hilarité non feinte comment Jodorowsky dû intégrer une girafe en feu et un salaire exorbitant pour convaincre Salvador Dali de jouer dans son film, et proposa à Orson Welles d’engager le cuistot de son restaurant préféré pour ses repas sur le tournage pour qu’il accepte d’intégrer le casting.

Une allée de la demeure des Harkonen (Giger)
Une allée de la demeure des Harkonen (Giger)

Jodorosky’s Dune est aussi un questionnement : celui de la place de l’artiste et du dilemme entre le besoin d’un système de production d’imposer certains formats. Entre les exigences artistiques du réalisateur Chilien, le respect affiché pour le travail de tous ses collaborateurs, et son refus de tout compromis dans la conception de son film face au studio, le film remet en perspective la question, certes assez courante, de l’équilibre du cinéma entre œuvre artistique et produit de consommation. Un positionnement en faveur du projet artistique total de la part de Jodorowsky qui aura finalement été fatal au projet. Malgré un budget raisonnable, des questions techniques déjà anticipés et résolues, les producteurs refuseront de financer le projet par peur de la personnalité de Jodorowsky, de sa vision artistique. Le réalisateur refusait, par exemple, de réduire la durée de son film pour en faire un long métrage d’1h30. Un rejet porté sur la personnalité de son réalisateur et de sa vision de l’art, qui, comme en témoigne sa réaction, garde encore un goût douloureux aujourd’hui.

Enfin, Jodorowsky’s Dune est une philosophie. Une philosophie qui veut que de l’échec nait une créativité sans borne qui a survécu au projet. Si ce Dune là n’aura finalement jamais vu le jour, on retrouve des traces de son projet dans de nombreuses œuvres cinématographiques : Star Wars pour commencer, dont certaines scènes semblent fortement inspirées par le storyboard de Moebius, mais aussi Alien, le 8e passager, sur lequel travailleront 4 membres de l’équipe de Jodo appelés par O’Bannon, ou encore Prometheus, dont la forteresse extra terrestre conçue par Giger ressemble trait pour trait à sa création du château des Harkonnen.

La dmeure du Baron Harkonen, imaginée par Giger, aura été reprise quasiment à l'identique pour Prometheus de ridley Scott.
La dmeure du Baron Harkonen, imaginée par Giger, aura été reprise quasiment à l’identique pour Prometheus de ridley Scott.

Sans jamais avoir été tourné, l’ADN du Dune de Jodorowsky s’est ainsi retrouvé dispersé, utilisé dans de nombreux autres projets, et a permis à des talents aujourd’hui reconnus (Dan O’Bannon, H R Giger entre autres) d’éclore et de s’épanouir dans leur art. Au final, après la projection du documentaire : il ne fait aucun doute que si Dune version Jodo avait vu le jour, le destin d’Alejandro Jodorowsky aurait été bien différent, et le film aurait changé d’une autre manière la face du cinéma de Science fiction. Mais même malgré cet échec, le cinéma de SF contemporain lui doit beaucoup aujourd’hui.

[styled_box title= »En conclusion » class= » »]Sujet peu connu, ce projet d’adaptation de Dune par Alejandro Jodorowsky permet à Frank Pavich d’offrir un documentaire au sujet original, complet, riche en anecdotes et intéressant. Une véritable découverte dans le cadre de la sélection documentaire de l’Etrange festival, qui réserve au moins une excellente surprise chaque année ! Preuve du fort potentiel de ce documentaire : celui-ci a eu droit à une projection dans la plus grande salle, chose rare pour un documentaire du festival. Cette année, l’Etrange proposait également un autre documentaire consacré à Hans Ruedi Giger, parfait complément à ce Jodorowsky’s Dune.[/styled_box]

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Jérémie

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