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Früh de bih de Hûh, voici l’instant norvégien de l’Etrange festival. Projeté dans le cadre de la carte blanche de l’excellent Benoit Delépine, Norway of Life pourrait être une des sensations des festivals s’il avait été projeté en compétition lors de sa sortie. Retour sur ce film nordiquement drôle.

Il est de coutume de voir le cinéma nordique représenté dans la programmation de l’Etrange festival. Le festival nous a notamment permit de découvrir certains polars plutôt bien troussés, ainsi que quelques films fantastiques plutôt sympa, malgré une omniprésence un peu lassante ces derniers temps.

Si quelques comédies (Men & Chicken, Klovn Forever) figurent dans le line-up de cette année, c’est par Benoît Delépine que nous parvient ce Norway of Life, dans le cadre de sa carte blanche. Et venant d’un des tauliers du Groland, on s’attend forcément à des films décalés, improbables, parfois à la limite de la transgression. Ca tombe bien, ce film colle en tout point au personnage et à son univers. Portrait d’une pépite scandinave.

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Andréas se retrouve dans une ville étrange. Il ignore comment il est arrivé là. On lui remet un emploi, un appartement et même une femme. Très vite, il s’aperçoit pourtant qu’il y a quelque chose qui cloche.

La tyrannie du bonheur

Sorti en 2007 en France, après avoir remporté plusieurs prix en Festival, Norway of Life est le second film de Jens Liens. La Norvège, comme ses voisins Suédois et Danois, est souvent présenté comme l’un des pays où les gens vivent le plus heureux dans le monde, que ce soit à l’école, au travail, et même à l’hospice, nourrissant envies et fantasmes de ses voisin. C’est pourtant bien ce mythe d’un pays idyllique que le réalisateur va se plaire à détruire petit à petit, pierre après pierre, pour présenter une réalité toute autre. Car la perfection, certes, c’est bien, mais c’est aussi très chiant.

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Pendant 1h30, Liens nous dépeint ainsi un monde idyllique, mais fade. Débarqué d’on ne sait où, via un bus arrivé de nulle part et à la destination inconnue, le personnage d’Andréas se retrouve catapulté dans une ville où tout lui est donné : une maison et un travail pour commencer. Ses collègues sont sympa, son patron est tellement gentil qu’il se soucie même de savoir si il n’est pas surchargé ou ne manque de rien, il rencontre même une femme avec qui il emménage. C’est même dire : en Norvège, la mort n’existe pas ! Andréas en fera d’ailleurs l’étrange expérience à plusieurs reprises lors d’une scène hilarante.

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Pourtant, quelque chose manque. Entre des aliments qui n’ont plus de goût, des habitants dont le seul passe temps consiste à feuilleter des catalogues Ikéa, regarder des émissions d’aménagement d »intérieur, et avoir des conversations superficielles, Liens nous catapulte dans un monde ultra-conformiste, où le moindre écart aux codes de conduite établis est inconcevable et provoque la mise à l’écart.

Ce qui ne manquera pas d’affecter notre pauvre personnage principal, dont la nostalgie d’un monde rempli d’enfants, de saveurs, de rires ne le conduiront dans un lot de situations ubuesques et terriblement caustiques qui en deviennent férocement drôle. Mais un rire à froid, s’il vous plait : comme cette scène impayable quand un inconnu se plaint dans les toilettes d’un bar que l’alcool n’a aucun effet, ne parvenant pas à être bourré même en y mettant toute sa paye.

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Dès le départ, un malaise diffus et perceptible s’installe et ne cessera d’augmenter, plongeant le spectateur de manière abrupte dans un monde dont il ne détient pas les codes, tout comme son personnage principal.

Dans ta face, Ikéa !

Pour appuyer son postulat et illustrer ce monde sans saveur, le réalisateur s’appuie sur une nappe de couleurs fades : les costumes des personnages, les meubles, les bâtiments, tout, tout le film repose sur un ensemble de couleurs oscillant entre le gris, le blanc, le noir, et un peu de marron. Même les quelques touches de bleus apparaissent sans vie. Il en résulte une image assez terne, accentuée par des mouvements de caméras très lents, de nombreux plans larges dans lesquels les protagonistes se retrouvent ainsi minimisés, bouffés par ce monde où le bonheur passe par un conformisme, une uniformisation et une aseptisation à l’extrême. Uniformisation des décors, des personnages, des goûts qui sont la condition nécessaire d’un bonheur imposé à tous mais offert sur un plateau.

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Pour autant, si la monotonie ambiante est au cœur du concept, cela ne signifie pas pour autant que nous avons à faire à un film banal et sans rythmes. Jens Liens sait en effet apporter suffisamment de soin à son image et ses décors pour valoriser ce monde cruel et froid tout comme il sait parfois prendre de la hauteur ou changer ses cadres pour présenter des paysages norvégiens à couper le souffle ou mettre en relief certains passages clés de son film. En témoigne notamment la scène du métro, qui donnera lieu à de superbes plans jouant sur les contrastes de lumières et qui pourrait parfaitement se trouver dans un blockbuster. De même, il insuffle à son film un rythme certes lent, mais toujours captivant par son étrangeté, un rythme qui semble suspendu hors du temps, mais avec une maîtrise du découpage et de l’enchaînement des plans qui montre bien que derrière cet effet de platitude se cache un cinéaste qui a travaillé ses effets.

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Petit à petit, le film transforme ainsi son personnage principal, Andréas, un comptable pourtant plus que banal, en fervente incarnation d’un monde plus vivant, plus libre, plus enjoué, plus coloré… au travers d’aspirations pourtant des plus que convenues. En souhaitant suivre une odeur alléchante mystérieusement apparue dans ce monde sans odeur, en évoquant le rire des enfants, Andréas parvient à mettre tous ses interlocuteurs mal à l’aise et s’attirer les foudres du système. Jusqu’à finir par franchir la ligne quand, au delà des paroles, il souhaite enfin passer à l’acte et partir à la découvrir si un monde « moins bon » est possible. Le titre original de l’œuvre, Den brysomme mannen, pourrait d’ailleurs être traduit par « l’homme gênant ».

J'ai beau être matinal, j'ai mal...
J’ai beau être matinal, j’ai mal…

Par son ton, son sujet, son développement, Norway of Life est un film à part, mais qui vaut immanquablement le détour. Une ode étrange et absurde à la liberté et à la vie dans laquelle Jens Liens fait de son homme aux aspirations ordinaires un danger public et une menace pour le système. Une vision critique et au vitriol du mode de vie à la Ikéa, axé sur le matérialisme, et d’une société tyrannique où le malheur la différence et la fantaisie sont inconcevables, voire interdits. Car derrière son aspect plutôt sage et décalé, Norway of Life tient bel et bien un propos ultra corrosif. En ce sens, on comprend ce qui a séduit Benoït Delépine dans ce film, tant son propos se retrouve dans plusieurs de ses propres films, réalisés avec son compère Gustave Kervern.

[styled_box title= »En conclusion » class= »sb_orange »]Ni film de genre, ni complètement un film fantastique, jamais entièrement un drame ou une comédie, Norway of Life est un film au croisement de tout cela, décalé et original, un ovni venu du froid. Son rythme particulier, et son humour qui fonctionne d’abord à froid finissent par faire mouche au fur et à mesure que les situations deviennent absurde. Alors que l’on a récemment souvent résumé le cinéma nordique à ses polars, jusqu’à l’overdose, Norway of Life apporte une bouffée d’air frais, un étrange film qui a toute sa place à l’Etrange festival et dont la découverte ou redécouverte fait un bien fou.[/styled_box]

Tags : Benoît DelépineCarte blancheCritiqueDen Brysomme mannenEtrange FestivalEtrange Festival 2015Früh de bih de HühikéaJens LiensNorway of Life
Jérémie

Gentle Geek Jérémie

Consequences will never be the same !

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