close

Quand le réalisateur du Crime Farpait et de Mes Chers Voisins décide de confronter deux clowns complètement dérangés sur fond d’Espagne période Franco, cela donne Balada Triste, un film qui va très très loin dans tout ce à quoi Alex de la Iglesia nous a déjà habitué. Peut-être un peu trop, d’ailleurs ? Verdict.

Marqué au fer rouge par les horreurs de la guerre civile espagnole qui a entraîné la mort de son père de façon tragique, Javier a décidé de perpétrer la tradition familiale en devenant clown de cirque. Mais au lieu d’être Auguste à l’instar de son père et de son grand-père avant lui, Javier est un clown blanc, incapable de sourire, et destiné à encaisser toutes les humiliations du clown Auguste de son nouveau cirque d’adoption. Dans sa vie loin d’être rose, Javier trouve néanmoins ses marques et tombe sous le charme de Natalia, la populaire acrobate du cirque. Le problème, c’est que cette dernière vit une relation aussi passionnée que violente avec Sergio, l’Auguste du cirque : petit-à-petit, le timide et réservé Javier va révéler sa véritable nature…

Bas les masques

Dès les premières minutes, Balada Triste donne le ton : voir une compagnie de cirque enrôlée de force dans l’armée pour massacrer des insurgés, le tout en costumes de scènes incluant les chaussures taille 48 promet un spectacle complètement what the fuck comme Alex de la Iglesia sait si bien les imaginer. Le film possède d’ailleurs la patte incontestable du réalisateur espagnol, qui se plait à mettre en scène des personnages qui, d’une situation normale – ou relativement normale – finisse par basculer dans un engrenage qui va les marginaliser. Javier n’est pas si différent de Rafaël, personnage au centre du Crime Farpait ou de Julia, agent immobilière chanceuse (ou pas) de Mes Chers Voisins… Et j’en passe. Depuis longtemps cador de l’humour noir et expert du pétage de plomb, le réalisateur applique dans Balada Triste une recette que lui et ses fans connaissent bien : le crescendo délirant dont on se demande constamment jusqu’où vont les limites. Et dans le présent film elles vont très, très loin.

Javier et Sergio, alter pas vraiment ego

Violence, archi-violence même,  sexe cru savamment mis en scène, humour noir et macabre se mélangent avec un comique de situation qui tombe juste la plupart du temps, et l’ensemble parvient à créer un climat tendu qui, tout en collant au spectateur un sentiment quasi-permanent de malaise à l’égard de l’intrigue glauque qui se noue sous ses yeux, ne peut pas non plus l’empêcher de le faire rire. En premier lieu, on sourit de la timidité et de la maladresse d’un Javier pas si naïf que ça, car on découvre assez tôt les horreurs qu’il a du endurer dans sa jeunesse. En second lieu, on assiste à l’hallucinant délire d’un homme qui, après avoir incarné à la perfection un clown triste toute sa vie,finit par comprendre le sens des paroles de son père qui lui conseillait de puiser sa soif de revanche dans sa tristesse : Javier passe alors de clown triste à clown vengeur. Le problème, c’est qu’il ne choisit pas forcément la bonne cible.

T »as mangé un clown ?

Balada Triste est un film aussi maîtrisé dans sa forme qu’il est provoquant et dérangeant dans son fond : l’Espagne franquiste, grise, terne, contraste avec les couleurs chatoyantes d’un cirque en perdition au coeur duquel les habitants des villes avoisinantes viennent chercher un divertissement à pas cher pour échapper un peu à leur situation. Sous le chapiteau, la boue s’amoncelle. Et sous le maquillage, les visages se crispent. Même Natalia, ange acrobate le jour, cache un être ambigu une fois le voile levé : souvent glauques à la base, les clowns sont bien pires sous leur épaisse couche de fond de teint. Un constat qui s’avère vrai pour la totalité du film, en vérité.

L’unité de temps choisie par Alex de la Iglesia n’est pas un hasard, tout comme le fait de faire voir cette époque à travers les yeux de deux clowns que tout oppose l’est pas non plus. A travers Javier et Sergio, le réalisateur délivre un message critique vis-à-vis de l’Espagne, et en particulier de sa politique. Bien qu’au coeur d’une époque trouble, Javier et Sergio ne font que traverser des évènements, pourtant historique pour certains : seule la guerre intime qui les oppose à ici de l’importance, et ce même si la guerre civile est sans nul doute à l’origine du comportement violent et sanguinaire des deux hommes. Donner de l’importance à deux clowns alors que l’Espagne subit la dictature de Franco renforce le caractère subversif du film, tout en lui apportant une toile de fond qui ne le quitte pas une seconde : là encore, le réalisateur va très loin dans la mise en scène pour souligner que, face à l’Histoire, l’histoire peut primer et laisser de côté le reste. Quelqu’en soit le prix.

Natalia, le fruit de la discorde

 

Plus qu’un film sur les ravages de la guerre civile, Balada Triste est surtout un film d’amour, un amour totalement fou aux circonstances fatales. Et même si, passé un stade crucial dans le film, on comprend qu’il est impossible que cette histoire se termine bien – on le devine même bien avant – la conclusion de l’ensemble s’avère totalement hallucinante, à l’image du métrage dans sa globalité. Ce dernier ne serait d’ailleurs rien sans son trio d’acteurs principaux, Carlos Areces et Antonio de la Torre pour Javier et Sergio, et Carolina Bang, qui incarne avec brio une Natalia oscillant entre onirisme, perversion et hystérie, trois mots qui résument d’ailleurs parfaitement -pardon, farpaitement – la fresque sanglante et grand-guignolesque que nous offre ici Alex de la Iglesia.

En somme, Balada Triste est destiné à un public averti qui est prêt à aller voir un film auquel il n’est en aucun cas préparé. Fidèle à lui-même, Alex de la Inglesia met une fois encore les marginaux et autres malchanceux victimes des circonstances à l’honneur, dans ce qui est peut-être son film le plus subversif jusqu’à aujourd’hui. Coulrophobiques s’abstenir !

Balada Triste d’Alex de la Iglesia, avec Carlos Areces, Antonio de la Torre et Carolina Bang. En salle le 22 juin.

Tags : Alex de la IglesiaBalada TristeClowngoreSexeviolence
Audrey

Gentle Geek Audrey

Co-fondatrice et rédac’chef de GentleGeek, je suis journaliste le jour et blogueuse la nuit – les deux ne sont pas incompatibles, non non. J’aime le cinéma, les jeux vidéo, les comics et les chats. C’est déjà pas mal !

Un commentaire

Commentaires