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Cinéma

[Reportage] Gérardmer 2012 : Dimanche 29 janvier

Après une nuit si agitée, on zappe la première séance de l’Espace Lac qui projette le dernier titre en compétition, Babycall. Le dimanche matin est toujours le moment où les festivaliers se précipitent dans les grandes salles afin de compléter leur séjour avant de quitter la ville dans la journée. Cela n’a pas manqué, la salle est pleine à craquer à quinze minute avant le début de la projection. Par ailleurs, au petit matin, on découvre avec surprise que la neige a couvert toute la ville pour lui donner un nouveau décor pour son dernier jour.


Passé midi, la plupart des séances sont incomplètes car les festivaliers désertent peu à peu les environs.
14H00, on tente de s’infiltrer au Paradiso qui comprend près de 300 places et dont la priorité est accordée aux pass séance. L’entrée est donc des plus incertaines et pourtant, toutes les personnes ayant patienté devant la salle pour regarder Beast, ont pu trouver une place à l’intérieur. Les pass séance sont donc si rares ?

Beast est une oeuvre danoise de Christoffer Boe déjà connu à Gérardmer pour avoir présenté Allegro au festival en 2006. Allegro avait été un titre à la plastique très soignée mais avait perdu la faveur du public du fait de son thème trop ambitieux et de son ton franchement prétentieux.
C’est donc avec une certaine appréhension que l’on accueille la dernière création de Boe, en lice pour le grand prix du festival.

Beast dessine le parcours de deux êtres liés par un amour biaisé et destructeur. Bruno et Maxine se sont aimés mais aujourd’hui, chacun jette un regard différent sur leur relation. Bruno désire vivre passionnément son amour pour sa compagne, mais cette dernière devient progressivement distante. Encore une fois, Christoffer Boe caresse une histoire de manière quasi-superficielle pour se concentrer sur la forme, en sculptant la psyché de ses personnages à l’aide d’images et de métaphores. Boe nous plonge donc dans une simple histoire d’amour déchirée par une passion cruelle et l’adultère, mais met tant d’attention à la mettre en scène de manière esthétique que le film fonctionne.

Beast démarre avec un schéma narratif assez classique avant de basculer vers un univers stylisé et fantastique. Bruno souffre de voir sa femme se tourner vers un autre et somatise chacune de ses angoisses. L’étrange pénètre dans le quotidien des personnages et un peu à la manière de David Lynch, fait vaciller nos croyances envers le réel. Malgré la légèreté de son histoire, Boe parvient à emballer son film avec beaucoup de génie. Une belle expérience.

"Tais toi femme ! Je t'aime d'un amour fou !" ou la vision de l'amour selon Bruno...

 

Pour la séance de 16H, on repart en direction du Paradiso afin de regarder Babycall qui avait été projeté le matin même au jury. Les pays scandinaves ont décidément la côte puisque celui-ci est suédois et se permet même le luxe de compter dans son casting Noomi Rapace, la Lisbeth Salander de la première adaptation de Millenium.
Son réalisateur Pal Sletaune n’est pas un novice dans l’univers du Septième Art, puisqu’en 1997, son film Junk Mail remporte le grand prix de la semaine internationale de la critique à Cannes. On notera même que la plupart de ses œuvres se sont distinguées à Cannes, Venise ou Toronto. C’est donc avec un solide bagage qu’arrive Babycall.

Le film conte l’histoire d’une mère terrifiée qu’on lui enlève la garde de son fils depuis qu’elle a fui les violences de son ex-mari. Constamment sous la surveillance de la DASS, la mère accroit une méfiance vis à vis de l’extérieur et surprotège son enfant. Afin de veiller sur lui la nuit, elle se procure des babycall, de petits talkies destinés à la surveillance des nourrissons, mais sa fréquence capte d’étranges cris.

Babycall débute comme un lourd drame social austère et triste, Noomi Rapace incarne une mère mentalement instable puisque sujette à une forte paranoïa que l’on a du mal à justifier au départ. A-t-elle de bonnes raisons de se méfier de tout ce qui l’entoure ou est-elle victime de sa névrose ? Les cris d’enfants qu’interfèrent ses talkies sont-ils réels ou sont-ils le fruit de son imagination ? Son personnage est mis au premier plan, le film dépeint en premier lieu la fragilité d’une femme dont le contact avec la réalité semble vaciller dès qu’elle est confrontée à un élément extérieur. C’est à partir de ce moment que l’intrigue légèrement fantastique se met en place. Noomi Rapace a des visions bien qu’elle soit parfois elle-même consciente de la forme intangible des faits qui se déroulent sous ses yeux.
Pal Sletaune introduit certains codes du film de fantôme sans pour autant désirer surprendre ses spectateurs dans le fil de son histoire. Le surnaturel est bien présent, mais est intégralement au service de son personnage principal qui est l’intérêt majeur de ce Babycall, dont l’intrigue est finalement classique et sans surprise. Bien heureusement, la performance de Noomi Rapace est excellente et l’actrice porte tout le film sur ses épaules.

Techniquement, Babycall est d’une maitrise exemplaire avec ses nombreux plans larges aux couleurs mornes qui baladent le personnage principal dans des lieux hostiles. Noomi Rapace y semble toujours perdue et erre dans des grandes forêts ou de longs couloirs étroits. L’austérité des décors n’est pas sans évoquer certains moments de Shining tant l’univers dans lequel baigne l’héroïne nous paraît triste et vide.
Voilà ce qu’on retiendra de ce Babycall qui, malgré une histoire peu intéressante et légèrement trainante, se tient à lui seul grâce l’étonnante Noomi Rapace dont on entendra certainement parler à nouveau.

On se retrouve souvent à comparer ce film avec son compatriote Morse, lauréat du 16ème palmarès de Gérardmer, mais ce dernier était bien plus abouti à tous les niveaux. Morse avait trouvé l’équilibre idéal entre le drame social et les éléments surnaturels, ce qui n’est pas réellement le cas de Babycall qui se concentre essentiellement sur un seul de ces aspects.
Pas un ratage, loin de là… mais il n’est certainement pas la claque qu’était Morse à l’époque.

"Je suis une mère exemplaire... ne me retirez pas la garde de mon enfant !"

 

On ressort donc la tête pleine après deux films venus du froid dont les concepts sont un peu similaires. Il est temps de gagner le Casino pour attraper la séance d’Eva, film en compétion, à 18H, en espérant qu’il nous secoue un peu plus. Dans tous les cas, le public qui avait déjà vu le film semblait conquis si l’on se fie à ce qui se raconte dans les files d’attente.
Premier constat, la salle est à moitié vide, pour bon nombre de personnes, le week-end prend fin. Les fins de dimanche après-midi sont toujours synonymes de tranquillité dans ce festival, c’est donc un excellent moyen de rattraper ce qu’on avait manqué les jours précédents sans se préoccuper du stress du comptage à l’entrée.

Eva est le premier long métrage de l’espagnol Kike Maillo et débute d’une fort belle manière. On est plongé dans un monde semblable au nôtre si ce n’est que la recherche en robotique a fait un énorme pas en avant. Les machines articulées font partie intégrante du quotidien et prennent diverses formes que ce soit de l’androïde à l’animal cybernétique. Les effets visuels sont saisissants et s’intègrent naturellement à l’image. C’est le monde tel qu’il nous est présenté et on y croit.

Alex, génie de la robotique, revient dans sa ville natale pour concrétiser un vieux projet en berne : donner vie à un enfant androïde parfait. Mais son retour fait remonter d’anciens souvenirs auprès de son amour de jeunesse, Lana, qui a refait sa vie avec son propre frère David. Bien décidé à mettre au point l’enfant robot idéal, Alex doit avant tout trouver un enfant exceptionnel pour lui servir de modèle. C’est à se moment qu’il rencontre Eva, une fillette pétillante et très éveillée.
Autant le dire d’emblée : le film de Kike Maillo n’est ni horrifique, ni fantastique. Eva est un conte de science-fiction taillé pour le grand public, avec une innocence et une sensibilité qui rappelle un peu les premiers titres de Spielberg. Rien que ça ! Eva est un beau film qui, malgré les éléments futuristes, respirent la nostalgie. Les personnages sont dévorés par leur passé et ne parviennent absolument pas à se défaire de leurs souvenirs. Seule la jeune Eva vient bousculer l’esprit inerte de ses ainés en imposant sa fraicheur, sa spontanéité et sa volonté de profiter du présent.

Eva de Kike Maillo se questionne sur la place des sentiments chez les humains et ses clones robotiques mais ne se positionne jamais vraiment sur le problème de l’intelligence artificielle. Le film prend clairement le parti de raconter l’histoire de ses personnages, leurs démêlés et étale sans réelle subtilité leurs états d’âme. Toutefois la sauce prend et Eva se suit avec beaucoup de tendresse et d’émotion. Si le lien qui unit les trois adultes nous ressert l’éternel schéma du triangle amoureux avec toutes les lourdeurs et les maladresses qu’on a l’habitude de retrouver, le personnage d’Eva relève à lui-seul l’intérêt du film. La jeune fille devient le fil rouge de l’histoire et apporte une conclusion plutôt touchante et poétique à un titre qui aurait pu s’écrouler sous le poids des stéréotypes qu’il comporte. Un joli film en somme.

On notera que le rôle principal est tenu par le germano-espagnol Daniel Brühl (Goodbye Lenine) et que Marta Etura (Lana) a été récemment vue dans Malveillance de Jaume Balaguero ([REC]).
On comprend alors l’engouement que portait le public pour ce film, même si au final la déception pointe un peu le bout de son nez à cause de cet imbroglio amoureux qui gagnait sans doute à être moins cliché. Reste qu’Eva est une agréable expérience dans le genre et aura de plus la joie de connaître une sortie nationale en salle durant le mois de mars.

Les circuits électroniques dans la robotique, c'est has been !

 

A peine l’on quitte le cinéma qu’on y retourne pour voir un titre dont on vous parlait déjà il y a plusieurs semaines : Chronicle de Josh Trank. Le film n’est pas en compétition mais il a l’honneur d’être une véritable avant-première à Gérardmer puisqu’il n’est sorti aux Etats-Unis qu’hier et est prévu pour la fin du mois chez nous.
Il est 20H et au même moment, la cérémonie de clôture se poursuit à l’Espace Lac. Habituellement, une annonce au haut-parleur informe le public le nom du grand gagnant, mais ce n’est pas le cas ici. Peut-être à la séance suivante ?

N’y allons pas par quatre chemins, Chronicle est le véritable petit joyaux de cette 19ème édition !
Trois adolescents entrent en contact avec une étrange matière et réalisent peu à peu que depuis cette expérience, ils sont dotés de pouvoir hors du commun.
Des films de super-héros, on en a eu un paquets durant cette dernière décennie mais aucun d’entre eux ne ressemblent à celui de Chronicle qui pourtant, n’innove pas dans son sujet tant on retrouve ses thèmes dans divers comics ou manga. Pondu avec petit budget de 12 millions de dollars, le long-métrage suit l’évolution de trois lycéens face à leurs nouvelles capacités en restant au plus proche de la réalité. Les trois garçons n’ont a priori rien en commun, mais dès lors ils développent  des pouvoirs de nature psychiques, ils passent tout leur temps ensemble. Ils commencent par tâtonner en tentant d’assembler des cubes de lego ou à dévier une balle de baseball tout en restant dans la dimension du jeu. A mesure que leurs pouvoirs augmentent, ils expérimentent sur des terrains plus dangereux en repoussant davantage leurs limites.

La belle idée de Josh Trank est de toujours vouloir coller à une réalité en imaginant ce que des garçons de cet âge feraient réellement s’ils étaient dans cette situation. Et pour appuyer cette idée, Trank utilise la méthode de la caméra subjective à la manière d’un Blair Witch ou d’un Paranormal Activity. Mais encore une fois, au lieu de céder à la facilité en abusant d’un cadre et d’un montage pauvre portée par une caméra à l’épaule, le réalisateur fait preuve d’ingéniosité en multipliant les supports vidéos et en usant finalement d’un montage très cinématographique. En clair, il n’est nullement annoncé au début du film que ce qui nous est dévoilé est un assemblage de différentes vidéos pour simuler un documentaire. Non, Chronicle s’écarte de ce concept usé et se présente comme un véritable film de cinéma. Dès lors, au fil du film, on comprend que l’utilisation subjective des caméras vidéo n’est là que pour accentuer l’immersion. On suit les personnages dans leur intimité et tout ceci s’imbriquent logiquement pour comprendre leur évolution sans oublier que l’idée d’intégrer la télékinésie permet de varier les prises de vue. Au final, on obtient un résultat très surprenant et immersif sans nous donner le tournis ni la nausée.

On ne vous en révélera pas trop, mais la seconde partie de Chronicle est époustouflante et on se demande vraiment comment ils ont pu monter un tel titre avec seulement 12 millions de dollars. Sachant que le film sortira en France le 22 février, on ne peut que vous conseiller de le découvrir vous-même au cinéma.
Pour un premier film, c’est impressionnant. Chapeau bas !

"Je suis... je suis... Leonardo DiCaprio !"

 

C’est fortement enthousiasmée que la salle se vide. Il ne reste plus qu’à se renseigner sur le grand gagnant de ce Gérardmer 2012, qui sera de nouveau projeté à l’Espace Lac. C’est peut-être l’occasion de conclure en beauté cette 19ème édition. On s’approche de la file d’attente pour décrocher l’information et on découvre que le lauréat n’est autre que Babycall ! Légère surprise… on aurait plutôt parié sur Beast. Ainsi… pas de séance supplémentaire, et le festival de Gérardmer s’achève sous les flocons de neige.

Mais ne quittez pas, il nous reste encore pas mal de choses à vous raconter !

Amis geeks, stay tuned !

 

Tags : BabycallBeastChronicleEvafestivalGérardmer
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Gentle Geek 406

Que le geek chic clique!

3 commentaires

  1. C’est pas Lisbeth Sanders, c’est Salander.
    Bon c’était l’unique défaut de cet article donc …

  2. Merci à toi Ingrid d’avoir relevé l’erreur, c’est rectifié ;). Si je me mets à américaniser les suédois maintenant… XD

Commentaires