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Cinéma

[Interview] Aleksi Briclot, directeur artistique de Remember Me

On ne se retrouve pas tous les jours face à quelqu’un d’aussi passionné et volubile qu’Aleksi Briclot : l’illustrateur français, cofondateur du studio Dontnod Entertainment à l’origine du récent Remember Me, a accepté de répondre à nos questions sur le jeu et les origines de son héroïne à l’occasion de sa venue au Comic Con Paris, début juillet. Attention, l’interview contient quelques spoilers !

Bonjour Aleksi. Pour commencer, est-ce qu’on pourrait un peu parler de vos inspirations pour ce jeu ? Moi j’y ai vu beaucoup d’Asimov, de Philip. K. Dick dans les réflexions sur l’humanité, je me demandais donc où est-ce que vous aviez été puiser les sources ?

Il y a une part de ça. Après, ça va être délicat pour moi de répondre, ma partie, c’est plutôt la partie artistique, même si je suis un co-fondateur, et même si au niveau du concept de fonds on a tous mis la main à la pâte quelque part.

Au début, on a été motivés par l’envie de faire de la SF intelligente, d’aller flirter avec le genre cyberpunk, tout ça, et, effectivement, c’est rigolo quand on parle de K. Dick, parce qu’il y a effectivement des influences. Au niveau du scénario, le rapport à la mémoire, l’humanité, l’intimité, et ça se retranscrit plus, pour ma partie, la direction artistique, par des influences du type Blade Runner, qui après 30 ans, a vieilli sur certains aspects, mais reste toujours étonnant.

Nilin est, à mon sens, une héroïne assez différente de celles qu’on voit aujourd’hui dans le paysage vidéoludique. Par exemple, forcément, si on la compare à Lara Croft, on voit de nettes différences… comment avez-vous développé ce personnage ?

Je vais peut-être juste revenir d’abord sur le choix d’avoir fait une héroïne. On s’en est pas rendus compte tout de suite, mais tous les créateurs, pour les parties visuelle, scénaristique, la direction créative globale, on a tous convergés très tôt vers le choix d’utiliser une héroïne, pour différentes raisons, qui étaient toutes complémentaires.

Nilin, l'héroïne de Remember Me

On a eu ensuite des confrontations avec des éditeurs un peu réticents. Et là, pour recentrer un peu, disons qu’il y a une croyance ou une perception du grand public, où la plupart des gens pensent qu’il y a beaucoup de jeux vidéo qui ont des personnages principaux féminins. Ce qui n’est pas le cas : on a Tomb Raider, mais pour le reste, on a très très peu d’exemples concrets de jeux qui ont réussi, ou alors plutôt dans un registre bimbo ou faire-valoir. Du coup pour nous, c’est un choix qu’on a embrassé très tôt, sur lequel on a beaucoup travaillé, avec un peu l’envie d’apporter du sang neuf. Je ne pense pas qu’on ait renouvelé le genre, on a pas chamboulé complètement les habitudes, mais malgré tout, il y avait cette envie de faire des choses un petit peu différentes.

Il y a aussi le rapport à la mémoire, par rapport au fond du jeu, qui a trait à la mémoire digitalisée, à l’intime, sans dire qu’un homme n’est pas aussi sensible qu’une femme, mais ça nous permettait quand même d’avoir une approche un peu plus sensible.

Au niveau du visuel, y a un paramètre très important également, c’est que c’est une métisse. Et là, pareil, c’était un message, une réflexion de fond, sur l’ouverture au monde, le mélange ethnique, la complémentarité… je ne vais pas rentrer trop dans les détails pour ne pas spoiler, mais je pense à une autre caractéristique, visuelle : Nilin a en fait deux gants, un noir et un blanc, donc deux aspects complémentaires, un petit peu comme le Yin et le Yang, qui rappellent ses racines. C’est quelque chose qu’on a décliné sur tout son look, son design global, qui est structuré autour du blanc et du noir. Le noir et le blanc qui sont importants aussi dans la ligne graphique de communication globale du jeu. On a essayé d’utiliser un peu des images désaturées, passéistes, d’où le choix du noir et blanc.

Et puis il y a l’orange. L’orange est très important, puisqu’on a choisi en tant que symbole du souvenir un petit cube orange. Le petit cube, parce que c’est un petit coffre, c’est également un voxel, comme un pixel en 3D, c’est la plus petite unité de construction possible qui nous sert à construire un petit peu tout le monde virtuel, et orange, par rapport au côté chaleureux, au côté chaud, en essayant de retranscrire les caractéristiques d’un souvenir, quelque chose d’intense et de lumineux.

Au niveau du look global, pour revenir à votre question de départ, il fallait qu’elle soit raccord avec tout ce que j’évoquais juste avant, c’est-à-dire ses racines, le côté métisse, tout son historique, l’histoire également dans le jeu, le gameplay. Le fait d’adopter certaines briques de gameplay du genre aventure-action classique, avec de l’escalade, du combat au corps à corps, ce genre de choses, ça induit des choses au niveau du physique : le fait qu’on essaie de retranscrire un personnage qui soit véloce, dynamique, capable de se battre, et donc, relativement athlétique.

Remember Me Paris

Après, j’utilise souvent Nilin pour expliquer la démarche qu’on a eue, par rapport à la conception complète de tout l’univers. C’est-à-dire que c’est de la SF, ça se passe en 2084, il y a tout un travail de projection de prospectives, mais à partir de ce qu’on a aujourd’hui. On a travaillé sur Paris, et la ville où ça se déroule, c’est Néo-Paris, et un écueil qui arrive souvent en SF, c’est de se dire : “voilà, on fait de la SF, y a des machins qui vont briller de tous les côtés, des extra-terrestres, des rayons laser, des trucs nucléaires”, et, du coup, on perd complètement les éléments reconnaissables et le sentiments de familiarité. Et nous sur la ville, on a vraiment essayé d’ancrer ça sur Paris d’aujourd’hui, d’avoir toujours des petits éléments reconnaissables. A partir de là, une fois que le joueur reconnaît certains éléments, il est en position confortable, et on peut ramener différents calques supplémentaires, des couches en plus, un scope épique, des éléments un petit plus invraisemblables : des gros robots, des tours énormes, mais on continue à y croire.

J’ai plutôt vu Remember Me comme un jeu d’anticipation que de science-fiction.

Pour moi le genre science-fiction ce serait le genre tout en haut, et il y aurait plusieurs branches, avec l’anticipation d’un côté, et à l’autre bout le space-opéra.

Justement, nous, on est pas du tout dans le space-opéra, on est pas dans l’espace, comme dans Mass Effect ou Star Wars, avec des vaisseaux, des créatures avec des tentacules, ce genre de choses. On est vraiment dans la recherche d’un futur plausible, et oui du coup, on est plus dans l’anticipation.

Et donc, pour en revenir à Nilin avant que je ne perde le fil, si on regarde attentivement son look, elle a des bottes qui sont assez futuristes, dans les matériaux, dans les formes, son gant également, son gant noir sur lequel s’applique le spameur, qui est l’espèce d’arme virtuelle qui apparait comme une upgrade un peu plus tard dans le jeu. Donc on a ces deux éléments qui sont connotés, on va dire, un peu science-fiction, au niveau du design et du look propre. On a également son Sensen, en réalité augmenté, qui flotte derrière sa nuque, qui est encore une petite touche propre au genre science-fiction, et sinon, si on regarde attentivement, ben, elle a une veste en cuir un peu stylisée, un petit peu design, un t-shirt classique, et puis surtout un jean. Le jean, qui a été inventé à la fin du XIXème, et qui est toujours d’actualité, la preuve, c’est ce qu’on porte tous les deux aujourd’hui. Pour nous le jean, ça nous permettait de garder ce point d’entrée, cet élément reconnaissable, et ne pas faire un personnage justement qui sorte d’un univers complètement décorrélé du réel, du genre space-opéra on va dire.

Pour arriver à ça, on a eu pas mal d’itérations, et justement, une des versions préalables, on allait dans la bonne voie, mais ça restait encore trop science-fiction “SF”, on y croyait pas.

Et l’ajout du jean, de cet élément reconnaissable, qui nous ramène à quelque chose qui est bien plus crédible.

nilin-remember-me

Sinon, comment avez-vous élaboré l’aspect visuel des remix de rêves et de toutes les possibilités offertes ?

Ce ne sont pas des rêves, attention, mais des souvenirs !

Oui, excusez-moi, des souvenirs !

Parce que j’étais en train de penser à Inception sinon…

Le principe m’a fait penser à Inception, d’où mon lapsus je pense…

Justement, au tout début du développement, on avait du mal à pitcher le jeu aux éditeurs, on avait du mal à leur faire comprendre ce qu’on voulait faire sur la mémoire, le principe de Memory Remix.

Et pendant la production est sorti Inception, et là, gros bluckbuster, tout ça, et ça nous a grave permis d’être vachement plus compréhensibles auprès des éditeurs, en leur disant : “voilà, c’est le même principe qu’Inception, mais au lieu de travailler avec les rêves, on va travailler avec les souvenirs”.

Et donc, pour en revenir aux souvenirs, comment les avez-vous construits ?

Principalement avec de gros apports de l’autre directeur artistique de Dontnod, Michel Koch. Il y a eu beaucoup de discussions en amont, mais c’est lui qui a le plus travaillé sur le style, le look propre de ces séquences de memory remix.

Et l’idée, c’est qu’on avait pas envie de travailler sur la représentation en haute définition d’un souvenir, dans le sens où il n’y avait pas assez de rupture avec le réel, et on avait juste l’impression d’être dans le même continuum temporel, et pas assez le feeling de se retrouver dans un souvenir.

Ensuite, on est arrivé avec différents éléments, comme ajouter des tons sépia, ajouter du grain, des éléments photographiques qui ajoutaient cette petite dimension passéiste, mais c’était pas encore assez, et pour le coup, on a poussé la machine encore plus loin, et on s’est dit qu’un souvenir c’était flou, c’était fluctuant, il y a quelque chose d’organique. En général quand on se souvient de quelque chose, on ne se souvient pas de tout. Si on souvient d’un visage, il y a quelques traits qui vont ressortir, mais le reste, c’est relativement flou. Idem dans une scène, il y a plein de détails qu’on a pas enregistrés, c’est un peu plus évanescent ou vaporeux. Donc on s’est dit qu’on allait se concentrer sur les éléments principaux de la scène, et que le reste, on allait faire comme une pièce de théâtre, le mettre un peu plus en retrait.

Remember Me remix Forlan

Du coup, on a cette espèce de plate-forme qui flotte, et juste une scène, avec un petit côté Dogsville, de Lars Von Trier.

Donc c’est juste la scène principale, et là, j’ai en tête le remix de Forlan, dans son appartement, et il y a tout un travail de lumière. Donc on a une scène de plate-forme, une fond infini tout autour, et y a tout un travail de lumière, de suggestion, avec quelque chose qui éclaire le tapis. Donc on a pas la fenêtre, elle n’existe pas, mais avec le jeu de lumière, tout est suggéré, et on entre dans cette séquence, et on y croit.

Et comme on est pas tout à fait dans un souvenir organique, mais dans on souvenir digitalisé, y a la technologie omniprésente, d’où l’utilisation d’une espèce de plate-forme structurée autour de cubes, je parlais tout à l’heure du cube orange, et là, on a plein de petits cubes gris qui flottent partout.

Dans le fond, on a également d’autres amorces de souvenirs suggérés, de plates-formes qui flottent, il y a également l’utilisation d’un gros câble qui vient du ciel, et l’idée, c’était que dans le memory remix, le joueur se situe au-dessus, comme une sorte de démiurge, il est au-dessus de la scène et c’est lui qui va changer l’ordre des choses, la séquence. Il agit un petit peu comme un dieu, et l’idée, c’est en retrait, c’était de suggérer un peu des fils de marionnettiste, où le joueur va pouvoir tirer ici et là sur certains de ces câbles.

C’est vrai que, sans vouloir trop en dire, c’est quelque chose dont on prend clairement conscience dans l’ultime remix.

Tout à fait !

Une dernière petite question : la fin du jeu est une fin ouverte, et j’ai vu que votre studio travaillait sur d’autres jeux… Est-ce qu’on peut avoir l’espoir de revoir Nilin un jour ?

Pas facile de répondre à cette question… disons qu’aimerait bien, ce serait cool, mais je ne peux pas en dire plus.

Merci !

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Merci à Aleksi Briclot pour sa disponibilité et à l’organisation du Comic Con Paris pour avoir rendue cette rencontre possible. Transcription de l’interview par Aurigabi. Notre test de Remember Me est disponible ici !

Tags : Aleksi BriclotcapcomComic Con Paris 2013DontnodRemember Me
Audrey

Gentle Geek Audrey

Co-fondatrice et rédac’chef de GentleGeek, je suis journaliste le jour et blogueuse la nuit – les deux ne sont pas incompatibles, non non. J’aime le cinéma, les jeux vidéo, les comics et les chats. C’est déjà pas mal !

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