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Cinéma

[Critique] The Secret : anticritique à l’usage des spectateurs désireux de garder le suspense

Difficile critique que celle de The Secret… Non pas à cause de l’appréciation qui peut être portée sur le film, mais simplement parce que le simple fait d’en parler, même un petit peu, nous emmène rapidement sur le terrain glissant du spoiler. Parce qu’un film est toujours meilleur quand il sait nous surprendre plutôt que de répondre bêtement aux attentes des spectateurs. Avis aux lecteurs, le spoil ne passera pas par GentleGeek !

Parler en détail de The Secret est un risque à prendre… Le même risque, par exemple, qui vous conduit à savoir que Bruce Willis est un fantôme, ou de découvrir l’identité de Keyzer Söze avant même d’avoir vu les deux films concernés. Il ya la de quoi considérablement gâcher un film. C’est pourquoi cet article n’est pas une « critique » à proprement parler, et que nous ne dévoilerons rien d’autre de l’histoire que ce simple résumé introductif :

À Cold Rock, petite ville minière isolée des Etats-Unis, de nombreux enfants ont disparu sans laisser de traces au fil des années, et n’ont jamais été retrouvés. Chaque habitant semble avoir sa théorie sur le sujet mais pour Julia, médecin dans cette ville sinistrée, ce ne sont que des légendes urbaines. Une nuit, son fils de 6 ans est enlevé sous ses yeux par un individu mystérieux.

Pour la suite, il vous faudra découvrir le film par vous même. Pour autant, nous ne saurions vous laisser sans parler malgré tout du film et de ce qui l’entoure. Mais alors, comment parler de The Secret ? The Secret, c’est…

… un film de Pascal Laugier.

Troisième film de Pascal Laugier, The Secret (titre original : The Tall Man), arrive enfin sur nos écrans, quatre ans après son retentissant Martyrs. Pour autant, l’écriture du projet démarrera juste après la sortie de son premier film, Saint-Ange (2004). Ayant saisi l’opportunité d’écrire et réaliser Martyrs, dont la sortie fera parler d’elle en raison de la violence de ses scènes. Loin de s’arrêter à cette seule violence graphique, le film échappe de peu à une interdiction aux moins de 18 ans pour finir en moins de 16, et ainsi bénéficier d’une sortie au cinéma. Une sortie qui permettra à l’auteur de ces lignes de se prendre une claque sur grand écran.

Après avoir été un temps rattaché à un projet de remake du Hellraiser de Clive Barker, le cinéaste français se concentre pleinement sur The Tall Man, projet qui lui tenait particulièrement à cœur et qu’il voulait voir aboutir.

Jessica Biel a montré très rapidement sa motivation pour participer au film : scénario reçu le lundi, appel immédiat pour rencontrer le réalisateur. Rencontre avec Pascal Laugier le mercredi, et le vendredi, réponse positive de l’actrice.

Tourné en langue anglaise, porté par l’actrice Jessica Biel, également productrice exécutive du film, le film porte quelques similitudes avec les films précédents du réalisateur : l’esthétique, très soignée, très clean, rappelle sans hésiter celles des précédentes œuvres du réalisateur. De plus, tout comme Martyrs, le film semble se découper en trois actes, trois grandes étapes du récit sans que celles-ci ne soient pour autant coupées par des intertitres ou chapitrées comme pourrait le faire un Von Trier (sans comparer les deux cinéastes, attention). Non, tout comme son précédent long, The Secret dispose de trois « parties » qui se font suite logiquement, s’enchaînent et nous entraînent la où on ne s’y attend pas…

… un film à twist ?

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L’intrigante bande annonce du film affirmant n’être basée que sur la première moitié du film afin de ne pas en révéler les rebondissements. L’affiche le clame haut et fort : « on n’a pas été aussi bluffé depuis sixième sens ». La promesse est ainsi faite : le film nous proposera moult rebondissements ! De quoi intriguer… et faire peur à la fois, tant certains films se sont vautrés dans le grand n’importe quoi en raison de twists trop nombreux, voire même d’un seul twist complètement foireux (au hasard… The silent house !).

Si le réalisateur lui-même n’hésitera pas à confier que la comparaison n’est qu’une « phrase de producteurs », le film s’appuie sur un rebondissement majeur qui intervient dès le premier tiers du film, et des conséquences et répercussions que cela a sur le devenir des protagonistes.

Jessica Biel en bien mauvaise posture…

Aussi, plutôt que d’arriver en fin de film, ou de jouer la surenchère, Pascal Laugier fait le choix de s’en tenir à son histoire et nous offre donc un seul twist et ses conséquences « logiques ». Logiques, mais qui ne manquent pas de mettre certains protagonistes dans des situations inattendues par rapport à d’autres longs métrages usant de retournements de situations similaires. Un choix bienvenu qui permet la cohérence du récit tout en se permettant un changement de vues et de situations, nous faisant voir le film sous un jour nouveau.

… un film fantastique ?

Mais quelle est donc cette menace qui pèse sur Cold Rock ?

La tentation pourrait être grande : après avoir réalisé un film fantastique, un autre d’horreur, on pourrait s’attendre à ce que le réalisateur poursuive dans cette voie. Voire même, que les producteurs ne s’adressent à lui que pour lui proposer des projets similaires. Après tout, que peut bien être ce « Tall man » dont il ne cesse d’être question ? Et comment expliquer ces mystérieuses disparitions d’enfants qui ne laissent absolument aucune trace derrière eux ? Et l’attitude des villageois sur un moment donné ?

Et bien non ! Pascal Laugier livre ici son propre film, conforme à l’atmosphère qu’il souhaitait proposer, et à systématiquement décliné toute proposition des producteurs étrangers de réorienter le cours de son récit vers quelque chose de plus conventionnel ou de l’inscrire dans un genre plutôt qu’un autre.

Se fier à la comparaison avec le « Sixième sens » de M. Night Shyamalan peut donc porter à confusion. Le nouveau long du réalisateur de Saint-Ange est avant tout un thriller. Pour autant, rappelons que Pascal Laugier est aussi un adepte des chemins détournés, partant dans une direction pour finalement nous emmener vers une autre destination…

Pourquoi évoquer ce point ? Pour une raison très simple légèrement évoquée plus haut : un film doit aussi s’apprécier pour ce qu’il est, et pour la proposition de cinéma qui nous est faite. L’industrie cinématographique propose régulièrement, notamment dans ses blockbusters ou ses grandes comédies romantiques/familiales/chorales, des films qui souhaitent « répondre aux attentes des spectateurs », le conforte dans ses jugements moraux de tel ou tel phénomène, le rassure quant à ses opinions. Bref, autant de produits calibrés pour plaire avant de proposer un contenu cinéphile.

Les événements de Cold Rock marqueront tous les habitants, y compris les plus fragiles.

Un bon film est aussi un film qui sait nous questionner, nous surprendre, voire nous déranger, remettre en cause certaines de nos certitudes, même temporairement, et nous mettre en situation inconfortable. Pour apprécier pleinement The Secret à sa juste valeur, il est donc nécessaire d’oublier : oublier ce que vous avez déjà vu du réalisateur, oubliez ce que vous savez ou croyez savoir de lui, ne cherchez pas à en savoir trop sur le film avant de l’avoir vu.

Le meilleur moyen d’apprécier ce film est encore d’y aller sans aucun apriori et de le juger pour ce qu’il nous propose, nous fait ressentir, et non pas pour ce qu’on aimerait y voir ou y entendre. Abandonnez-vous à ce film, laissez-vous emporter et voyez si vous en sortez convaincu, déçu, déstabilisé, surpris, réservé… Mais jugez le film sur ce qu’il est, non sur ce que vous attendez de lui.

… un film GentleGeek approved ?

Pour l’auteur de ces lignes, la réponse est très clairement oui ! The Secret est un film qui mérite assurément le coup d’œil pour plusieurs raisons.

Nous avons évoqué plus haut le scénario qui emmène nos protagonistes dans des situations inattendues et qui reste parfaitement cohérent malgré l’évolution du récit et des différentes tournures prises. L’interprétation des comédiens joue aussi un rôle important dans la « tenue de route » de ce film. L’ensemble du casting est ainsi très bon et donne réellement l’impression d’avoir face à soi des habitants tels qu’ils réagiraient dans une situation similaire, habitant une petite ville dévastée par le chômage et les drames humains. L’ensemble des éléments pouvant sembler « en décalage » ou sonnant faux s’expliquent rapidement et retrouvent une place dans cette ligne de cohérence.

Stephen McHattie va devoir faire la lumière sur ces mystérieux événements… Une tâche loin d’être facile.

Nous avons donc à faire à un film entièrement maitrisé… mais qui n’est pas pour autant dénué d’émotions ! Plutôt que d’offrir un jugement et de trancher, le réalisateur nous laisse face à une situation ambivalente, ou l’on ne sait plus à qui s’identifier, à quelle valeur se raccrocher. Un parti pris à l’heure où les « bad guys » sont valorisés comme symbole de subversion cinématographique, Laugier préfère laisser le spectateur avec ses doutes sur un sujet terriblement humain mais où bien malin serait celui ayant un avis parfaitement tranché. A ce sujet, le film fait écho à un épisode de l’actualité ayant fait la une et déclenché polémiques et réactions contradictoires il y a quelques années, preuve que la question est loin d’être évidente à trancher.

De plus, à l’heure où les propositions de cinéma de genre français se font plus rares ou restent confinées aux sorties en catimini, Pascal Laugier nous livre un film qu’il a écrit et réalisé, une œuvre personnelle dont le résultat ne peut que nous inciter à soutenir son travail : en dehors du contenu du film ou du débat qui a animé sa sortie, Martyrs avait montré que nous avions un réalisateur capable de proposer des films forts et se démarquant du reste de la production hexagonale. C’est à nouveau le cas pour ce film, son premier en langue anglaise et tourné à l’étranger. Un réalisateur dont on espère qu’il pourra encore nous surprendre de nombreuses fois !

Par son scénario troussé, sa réalisation soignée, son propos qui nous met face à nos propres ambivalences, The Secret est une réelle proposition de cinéma qui mérite d’être vue. Un film touchant, fort, porté par des interprètes convaincants, dont on ne ressort pas sans quelques interrogations. Et vous, qu’en pensez-vous ?

The Secret, un film de Pascal Laugier, avec Jessica Biel, Stephen McHattie, Jodelle Ferland.

Tags : anticritiqueCritiqueJessica BielMartyrsPascal LaugierSaint-AngeStephen McHattieThe Secret
Jérémie

Gentle Geek Jérémie

Consequences will never be the same !

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