La réputation des studio Ghibli n’est plus à faire et le dernier film en date s’apprête à gagner nos salles obscures. Depuis Ponyo sur la falaise, Hayao Miyazaki s’était fait très discret et formait durement ses successeurs. Ainsi naquit Arrietty, le petit monde des chapardeurs, qui est le premier film d’Hiromasa Yonebayashi. Une réussite encourageante qui laisse penser que le studio ne sera pas démuni de talent lorsque le maitre prendra sa retraite. Aujourd’hui, un autre jeune pousse doit faire ses preuves à travers son deuxième film, La colline aux coquelicots, et son patronyme s’accompagne d’une lourde pression puisqu’il s’agit de Gorô Miyazaki, fils d’Hayao. C’est donc avec une double curiosité que l’on attendait le film. La relève est-elle assurée ?
En 1963, Umi vit dans une bâtisse avec sa famille qui n’est composée que de femmes. Son quotidien est plutôt bien définie. Elle se charge d’une partie des tâches ménagères et envoie des signaux en mer dans l’espoir de recueillir des nouvelles de son père marin disparu quelques années auparavant. Au lycée, elle rencontre Shun, responsable du club de journalisme.
Le retour de Gorô Miyazaki était quelque peu inattendu après les reproches que lui avait faits son père durant la projection des Contes de Terremer. Le premier film de Gorô avait été jugé trop immature et son réalisateur trop inexpérimenté pour diriger un tel projet. Depuis 2006, on n’avait plus tellement entendu parler de Gorô jusqu’au projet de La colline aux coquelicots, inspiré du manga éponyme de Chizuru Takahashi et Tetsurô Sayama. Mais contrairement aux Contes de Terremer où Hayao Miyazaki était absent de la production, La colline aux coquelicots est scénarisé par ce dernier, à l’instar d’Arrietty.
Le film démarre dans la plus grande tradition des œuvres de Ghibli, avec douceur et poésie. Tout y est. Le design simplet est reconnaissable entre mille, la marque Ghibli s’établit dans la légèreté des traits, l’animation est d’une fluidité exemplaire et les personnages dégagent une empathie propre aux titres du studio. La musique de Satoshi Takebe s’accorde parfaitement avec la tendresse qu’émane La colline aux coquelicots, tout est mis en place pour nous faire voyager en terrain connu. Voilà qui débute sous les meilleurs auspices.
Un univers ancré dans le réel.
La colline aux coquelicots s’inscrit dans un univers plausible et réaliste qui écarte ainsi tout phénomène surnaturel et autres éléments magiques. Oublions les créatures des forêts, les animaux qui parlent où les châteaux qui flottent dans les airs, il est question ici de personnes normales, aux préoccupations banales. Par ailleurs, le film est clairement identifié dans une époque définie : 1963. On contemple alors le Japon de l’époque avec un regard bienveillant et apaisé tant les décors sont beaux, détaillés et colorés. Il fourmille de détails qui nous plonge dans un Japon en paix qui n’est pas encore en proie à toute une avalanche de progrès technologiques. Entre les tramways, les bateaux à vapeur et les bicyclettes, on voyage dans un décor rétro sans sophistication. Une simplicité qui place de grandes valeurs sur le devant de la scène comme la famille, le travail, la protection du patrimoine et la liberté d’expression. Un contexte qui renforce la candeur du titre.
On nous avait habitué à des décors somptueux, et La colline aux coquelicots n’en est absolument pas avare. Chaque plan apparaît comme un tableau, des paysages aux tons pastels contribuent à rendre l’univers doux et accueillant. A travers une atmosphère aussi colorée et lumineuse, Gorô Miyazaki sublime ce Japon qu’il voulait pourtant réaliste. Même sans magie, la poésie reste omniprésente. N’ayant pas bien connu cette période, il a imaginé l’ambiance de l’époque, en mettant certainement en scène un idéal plus qu’une reconstitution historique.
Une intrigue à trois niveaux.
Ce Ghibli ne faisant pas exception à la règle, le personnage principal est une jeune fille courageuse et positive. Au fil de l’histoire, Umi évoluera sur trois plans : la famille, la société et l’amour.
Le mystère entoure donc ses parents dont on ne sait presque rien au départ si ce n’est qu’ils ne sont pas présents dans la pension dans laquelle elle vit. L’absence l’oblige à prendre soin de sa petite sœur et des autres membres de la maisonnée en prenant en charge une grande partie des tâches ménagères, ceci expliquant la maturité précoce de l’héroïne. Mais cela ne sera jamais dépeint comme une fatalité, et même si Umi souffre parfois du manque de ses parents, on la voit s’affairer avec entrain sans se départir de son sourire. Un mode de vie à la japonaise dans toute sa splendeur.
En fréquentant son camarade Shun, Umi découvre le foyer des clubs du lycée, une sorte de confrérie, qui réunit dans un bâtiment délabré, l’ensemble des clubs. Parmi ceux-ci, la section journalisme dont le responsable n’est autre que Shun. En lui apportant son aide, Umi apprend les rouages du journal et les implications d’idéaux qui les accompagnent. Elle assiste à des manifestations où les garçons de l’école s’expriment avec énergie et conviction pour défendre leurs idées et leurs valeurs.
Évidemment, en côtoyant Shun, une attirance pour ce dernier nait. Un sentiment réciproque qui rencontrera cependant un obstacle suite à une révélation.
Un rythme difficile.
Le gros point noir du film dont la première demi-heure était pourtant très engageante. A force de suivre l’héroïne sur un trop grand nombre d’étapes, les personnages peinent à avancer, la faute à un cahier des charges trop importants alors que la résolution de la plupart des obstacles parait évidente aux yeux des spectateurs. Du coup, Umi se questionne sans cesse et bifurque d’un thème à un autre sans que ce soit réellement nécessaire. L’avancée dans les intrigues semble trainer de manière superficielle et on a donc une impression de lenteur, chose étonnante puisque le film ne dure que 90 minutes. Au final le long-métrage se répète dans sa structure : Umi fait des choses du quotidien, puis est confrontée à un événement inhabituel, se pose des questions et avance, puis retrouve son quotidien et rencontre encore un nouvel obstacle et ainsi de suite. Sachant qu’elle s’emploie à réaliser ce rituel sur le plan familial, social et amoureux, on tombe forcément sur une certaine redondance qui donne l’impression que le film est trop long.
La réalisation est, quant à elle, loin des envolées vertigineuses d’Hayao Miyazaki. On ne tournoie pas autour d’un arbre géant et on ne suit pas la course d’un dieu sanglier. En se voulant plus réaliste, Gorô opte pour des plans posés et manque ainsi d’audace.
Le manque de surprise.
Malheureusement La colline aux coquelicots ne nous surprendra à aucun moment et ne nous tiendra jamais en haleine et ce, malgré les nombreuses intrigues mises en place. Le scénario s’enlise dans des résolutions faciles et attendues et conclue de façon trop artificielle, ce qui entache la crédibilité de l’œuvre, chose à laquelle Ghibli ne nous avait pas habitués. Hayao Miyazaki s’était ingénieusement écarté de toute forme de manichéisme ou d’happy-end forcé rendant ses histoires fluides et logiques. Ici, Gorô commet l’erreur de façonner son film de façon trop stéréotypée et pourtant, il avait soulevé des problématiques intéressantes dans son intrigue qui aurait mérité un meilleur traitement, plus de finesse et d’ambiguïté. Il plane alors une vague impression de « tout ça pour en arriver là ». La conclusion n’est clairement pas à la hauteur du chemin parcouru, surtout pour un titre qui se voulait plus réaliste que ses prédécesseurs. Un manque de prise de risque quelque peu indigne du studio Ghibli.
A la recherche du père ?
Le film s’ouvre sur Umi qui dresse des drapeaux sur son balcon afin de communiquer avec les navires pour envoyer un message à son père. Le thème revient à plusieurs reprise et touche même d’autres personnages par la suite. Cette quête perpétuelle du modèle paternel nous interpelle et ferait-elle écho à l’expérience de Gorô Miyazaki ? Il est difficile de ne pas faire de rapprochement tant ce dernier est inévitablement comparé à son père, monstre sacré du cinéma d’animation japonais. Serait-ce le film qui clame une reconnaissance après les critiques acerbes d’Hayao Miyazaki sur Les contes de Terremer ? Une simple hypothèse d’autant que ce dernier s’est chargé de l’écriture du film.
La colline aux coquelicots est-il un bon film ? Oui, assurément, d’autant que les films d’animation en 2D d’une telle qualité se font rares au cinéma mais… il est un Ghibli assez fade. La faute à une filmographie presque intouchable. Le film de Gorô Miyazaki souffre d’être un Ghibli nettement moins bon et intéressant que ceux de son père ou d’Isao Takahata. Toutefois, du chemin a été parcouru depuis Les contes de Terremer et La colline aux coquelicots emmène son réalisateur sur des voies rassurantes. Gageons que son prochain film sera encore meilleur. Les novices accepteront sans mal ce film empreint de douceur et de poésie, les fans de Ghibli jugeront durement le long-métrage en le comparant aux chef-d’œuvres du studio. Il est malheureusement difficile d’être le fils d’Hayao Miyazaki…
La colline aux coquelicots, de Gorô Miyazaki, en salle le 11 janvier 2012.
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