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On n’avait plus vu de film de Sono Sion sur nos écrans depuis Suicide club, en 2003. Alors forcément, quand Guilty of Romance débarque enfin sur nos écrans, on aurait tort de se priver. A l’heure où la « Rebelle » de Pixar nous offre un spectacle qui n’a de féministe que l’apparence, le réalisateur japonais offre ici une pièce de choix de son cinéma, maîtrisée et sublime même si beaucoup ne s’arrêteront qu’aux images proposées.

Izumi est mariée à un célèbre romancier romantique mais leur vie semble n’être qu’une simple répétition sans romance. Un jour, elle décide de suivre ses désirs et accepte de poser nue et de mimer une relation sexuelle devant la caméra. Bientôt, elle rencontre un mentor et commence à vendre son corps à des étrangers, mais chez elle, elle reste la femme qu’elle est censée être. Un jour, le corps d’une personne assassinée est retrouvé dans le quartier des « love hôtels ». La police essaie de comprendre ce qui s’est passé.

Avoir un Sono Sion dans une salle de cinéma, c’est un peu un événement. Généralement projeté en festivals, notamment dans ceux dédié au cinéma de genre où sa réputation n’est plus à faire, ses films n’avaient que peu réussi à atteindre nos salles obscures via le circuit traditionnel. Et pour cause : son cinéma, parfois choquant, toujours prompt à détourner son récit initial pour pointer les défaillances de la société japonaise, ne correspond pas au formatage attendu pour un circuit mainstream.

Et pourtant, petit miracle, le 25 juillet dernier, Guilty of Romance sortait sur nos écrans hexagonaux. Si le cinéaste n’y va pas toujours avec le dos de la cuillère, il serait pourtant dommage de se priver d’un des meilleurs auteurs actuels du cinéma japonais, et tout simplement d’un excellent film, réservé toutefois à un public averti (interdit aux moins de 16 ans).

Car Guilty of Romance est frontal. Non pas que le film soit spécialement violent – en tout cas d’un point de vue graphique : en dehors de quelques scènes accompagnant la découverte du corps au début du film, et de l’aspect malfamé du quartier de Shibuya, le film ne comporte aucune effusion de sang, contrairement à Cold Fish qui se terminait en bain d’hémoglobine. Non, ici, la violence est morale. Le film est frontal dans les scènes de nudité qu’il dépeint, dans cette réalité morose fondé sur le paraître qui tourne peu à peu à la folie charnelle.

La découverte d’un mannequin-cadavre vous emmènera dans les bas-fonds du quartier des love hôtels Tokyoïtes.

Sono Sion nous place face à notre propre pudicité et notre sens moral, à notre propre rapport à l’intimité, et par delà, à la façon dont nous envisageons notre rapport à l’autre. Les quelques départs pendant la projection du film et les nombreux rires nerveux face au caractère cru des situations le montrent bien : Sono Sion dérange, titille des points sensibles, met mal à l’aise, notamment en filmant au premier degré, sans recul ni jugement induit par un quelconque effet de style, la plupart des situations.

Pour y parvenir, le réalisateur commence par installer confortablement dans un cadre confortable, minuté, répétitif, pour prendre ensuite un malin plaisir à l’émietter et faire sombrer ses personnages dans des abimes dont ils ne ressortiront pas indemnes. Ainsi, le quotidien minuté, prévisible, identique de jour en jour d’Izumi, femme frustrée et soumise à une vie sans saveur et ni intimité, vacille avec les certitudes des spectateurs, qui comprennent rapidement que le film n’est pas une love story ni le simple récit de l’émancipation d’une femme.

La vie si rangée d’Izumi au côté de son mari va rapidement se retrouvée bouleversée.

Deux choix s’offrent alors à vous : renoncer tant qu’il est encore temps, ou accepter de suivre Izumi jusqu’au bout. Car une fois qu’on est entré dans cette spirale infernale, plus moyen de revenir en arrière. Ainsi, la sage Izumi se révèle peu à peu, sous l’impulsion d’un mentor très particulier, sorte d’alter-égo fantasmé, et repousse ses limites. Alors ne nous voilons pas la face : il est ici question de sexualité, et le film propose à de nombreuses reprises nudité et mises en scène relativement voyantes, même si on ne tombe jamais dans l’explicite. Toutefois, les plus puritains risquent de passer un sale quart d’heure !

Mais si vous acceptez de vous laisser bousculer un peu, alors Guilty of Romance vous entrainera dans son univers particulier et s’offrira à vous sans artifices. Une fois le premier pas franchi, Izumi ne pourra plus rebrousser chemin. Sono Sion entraîne son personnage dans des limbes viscérales et charnelles, et quand on pense le plancher atteint, prend un malin plaisir à faire s’effondrer à nouveau le sol sous ses pieds. Dans cet univers où la voie empruntée par nos héroïnes peut susciter critiques et désapprobations, ce qui est jugé amoral est aussi présenté comme inhérent à chaque être humain, même les plus innocents. Et en dépit des actes de ceux qui acceptent de céder à leurs plus sombres pulsions, les autres, ceux qui préfèrent refouler cette part d’eux-mêmes, sont amenés à agir de façon encore plus abjecte et perverse.

Mitsuko, celle part qui le scandale arrive.

Récit sur la découverte de ses désirs et pulsions secrètes ou inassouvies, sur la nature de l’amour, sur l’abandon de sa personne pour n’être plus que corps et désirs, image et provocation assumée, le film est servi par la réalisation acérée de Sion, et par le jeu de ses acteurs, tout du moins de son trio d’actrices (quatuor, si on rajoute la mère de l’une d’elles). Megumi Kagurazaka, compagne du réalisateur, est très crédible tant en Izumi réprimée, que dans sa phase de « transition », ainsi qu’en adulte dévergondée. De la même manière, le personnage de Mitsuko, interprété avec brio, nous tétanise par sa folie, et nous entraine de force dans les bas-fonds de la société japonaise. Esthétiquement, le film est très réussi, à l’image de son affiche, et le choix de couleurs – froides et ternes pour la vie quotidienne, couleurs fluos, fushias et sombres pour la nuit –  lui confère un cachet sombre et étouffant, notamment dans les parties se déroulant à Shibuya.

Couleurs et lumières donnent au film une réelle ambiance.

« Goutez mes saucisses« … Il a osé…

Les quelques pointes humoristiques (« vous voulez une saucisse ?« ) parviennent à aérer un peu l’ambiance oppressante, mais disparaissent totalement par la suite pour ne laisser place qu’au malaise et à la folie de ses protagonistes. Même la scène du thé, peut être la plus drôle du long-métrage, est en réalité extrêmement amère au regard des paroles échangés entre la mère et sa fille prostituée. Un passage totalement décalé qui s’annoncera comme le dernier moment d’air frais, le film nous entrainant ensuite sans relâche dans son ambiance décadente et malsaine. Car c’est aussi l’une des scènes clés du film : puisque l’un des piliers sociaux crucial de notre société, celui de l’apparence, vient de s’effondrer sous nos yeux, les tourments qui hantent le cœur de nos protagonistes peuvent maintenant s’épanouir jusqu’au dernier acte, où une révélation malsaine sur le passé d’un personnage vient à nouveau remettre en cause la façon dont nous appréhendions  son comportement,. Comme si le réalisateur ne souhaitait laisser aucune porte de sortie au spectateur. On se retrouve là, seul avec notre incertitude, ne sachant plus à quel repère se raccrocher.

La version de Guilty of Romance proposée en salles n’est pas exactement la version complète du film. En effet, son montage original, d’une durée de 2h30 environ, a été raccourci pour revenir à 1h50. Principal personnage à en faire les frais : la femme policière, dont la version longue s’attarde un peu plus sur sa vie privée et sa liaison adultère, ce qui la relie indirectement aux deux autres femmes du film. Dommage car le film y perd un peu de sa densité, notamment lors de l’acte final, quand, sur le point de résoudre son enquête, son interlocuteur lui incombe de « ne pas sombrer dans l’indécence du sexe ». Un passage qui pour le coup, perd un peu tout son sens. Néanmoins, le montage proposé conserve l’essentiel de son propos et parvient à conserver l’atmosphère décadente et sombre du métrage.

Dans la version longue, l’enquête menée par la femme-flic la conduit à s’interroger sur sa propre situation de femme adultère.

Pas de 2nd degré faussement provocateur ici, ni de faux-semblants qui nous ramènent ensuite vers une morale sécurisante : Guilty of Romance tient son propos d’un bout à l’autre de sa bobine et filme sans complaisance la lente dérive de son personnage. Mais s’agit-il pour autant d’une dérive ? Sono Sion surprend, questionne, met le spectateur mal à l’aise et s’en amuse. Pour autant, son film est loin d’être dénué de fond pour peu que l’on veuille bien aller au delà des images projetées : tout dans ce film fait sens malgré certaines provocations de façade. Guilty of Romance est une œuvre aboutie, plus dense qu’il n’y parait, et sonde les désirs enfoui de l’être humain pour les illustrer par l’extrême. Un coup de pied dans la fourmilière dont le cinéma actuel manque cruellement. Ne cherchez pas ailleurs, le vrai cinéma transgressif, il est là.

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Guilty of Romance, un film de Sono Sion. Toujours en salle actuellement.

Tags : CritiqueGuilty of RomanceMegumi KagurazakaSono Sion
Jérémie

Gentle Geek Jérémie

Consequences will never be the same !

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