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Dans les méandres d’un Festival de Cannes où l’on oublie parfois de parler un peu plus de cinéma, dans la flopée de pellicules triées sur le volet de façon autoritaire et hiérarchisante, sur-représentant un cinéma parfois prout-prout et bien-pensant, laissant peu de place aux autres, certains films parviennent cependant à illuminer la Croisette de leur grâce. C’est le cas du Congrès, d’Ari Folman, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, qui s’impose comme une merveille de science-fiction à ne manquer sous aucun prétexte.

Et si, pendant 2 heures, vous décidiez d’arrêter le temps ? Ou plutôt, de prendre le temps. Prendre le temps de vivre une expérience intense au cinéma, prendre le temps de s’émouvoir, prendre le temps de ne penser à rien d’autre que ce que ce qui vient de se dérouler à l’écran provoquera en vous ?

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[styled_box title= »Synopsis » class= » »]Robin Wright (que joue Robin Wright), se voit proposer par la Miramount d’être scannée. Son alias pourra ainsi être librement exploité dans tous les films que la major compagnie hollywoodienne décidera de tourner, même les plus commerciaux, ceux qu’elle avait jusque-là refusés. Pendant 20 ans, elle doit disparaître et reviendra comme invitée d’honneur du Congrès Miramount-Nagasaki dans un monde transformé et aux apparences fantastiques…[/styled_box]

img_lecongres1Sorti le 3 juillet dernier en salle, coincé entre le rouleau compresseur Man of Steel, le World War POUET de Brad – je fais ce que je veux avec mes cheveux – Pitt, et à l’approche du blockbuster familial Monstres Academy, Le Congrès mérite pourtant que l’on prenne le temps de s’intéresser à lui.

Le temps, Ari Folman l’aura pris pour réaliser Le Congrès. Adapté du Congrès de Futurologie, un livre de Stanislas Lem publié en 1971, Ari Folman a 16 ans quand il découvre cette œuvre de science-fiction pour la première fois. Profondément marqué par cette lecture, il se promet pendant ses études d’en faire un film, et c’est aujourd’hui, à 50 ans, et 5 ans après le succès de Valse avec Bachir, que le réalisateur Israélien lance sa vision du roman de celui qui fut également le géniteur de Solaris. Une attente qui en valait la peine ?

Un travail d’adaptation remarquable

Adapter une œuvre de science-fiction évocatrice et dense relève souvent du challenge. Aujourd’hui encore, de nombreux réalisateurs s’y cassent les dents. Qu’importent les budgets, le soutien des studios : sans idée et sans vision, aucun salut ! Dernière preuve en date : l’immense gâchis Upside Down, qui échouera même à rendre crédible la romance déjà vue mille fois ailleurs.

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[quote_left]disons le d’emblée : sa vision du Congrès a de quoi émouvoir aux larmes[/quote_left]Mais heureusement, Ari Folman n’est pas Juan Solanas. Et disons le d’emblée : sa vision du Congrès a de quoi émouvoir aux larmes, que l’on ai lu le livre ou non. Ari Folman livre en effet un film d’une puissance telle que, 2 heures durant, le temps reste en suspend tant on est ébloui, effaré, emporté par l’histoire qu’il nous raconte. Le tour de force de cette adaptation est ainsi clairement comparable à l’incroyable travail réalisé par les Wachowski et Tom Tykwer pour Cloud Atlas.

Difficile de nier en effet l’important travail effectué pour adapter l’histoire originale afin de l’articuler autour du parcours de cette actrice perdue, contrainte d’accepter de perdre le contrôle de son image au point d’en perdre quasiment toute liberté humaine. Ari Folman développe ainsi le discours du livre original, l’enrichit d’une réflexion sur l’art, ce que veut dire être acteur, la conscience et le libre arbitre en l’inscrivant dans le prolongement du propos original sur le totalitarisme, l’ordre social, et le choix de vivre dans l’illusion. Des thèmes toujours actuels et modernisés (société du spectacle, quête de la jeunesse éternelle, fanatisme absolu). Tous ces thèmes foisonnants s’illustrent et s’entremêlent à merveille au cœur d’un récit personnel, centré sur un personnage et son ressenti. En se focalisant en effet sur la quête individuelle et les regrets de Robin, le réalisateur parvient a créer une immersion complète dans l’histoire, et à insuffler de nombreuses émotions, évitant ainsi le piège du film de SF froid et distant.

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[quote_right]Visuellement bluffant, ce parti pris renforce de plus la crédibilité du monde qui nous est présenté[/quote_right]Pour illustrer ce monde imaginaire et fantasmé, Ari Folman a également la très bonne idée de reprendre avec lui le concepteur artistique et le directeur d’animation de Valse avec Bachir. Dans un style graphique propre, le choix de l’animation en 2D plutôt que de l’image de synthèse et des CGI offre au réalisateur une réelle liberté artistique et une créativité qui serviront la encore à merveille son histoire, tant l’univers dépeint est riche, fourmille de détails tels que seuls ce procédé pouvait rendre justice à la vision du réalisateur. Visuellement bluffant, tant dans ses parties animées que dans le monde « réel », ce parti pris renforce de plus la crédibilité du monde qui nous est présenté, sans qu’à aucun moment on ne remette en cause le passage de l’un à l’autre.

Quand la SF parle au cœur

Scindé entre film live et film d’animation, dont les alternances, rares, vous prendront à la gorge tant elles marquent des moments clés et émouvants du film. Le Congrès ne saurait néanmoins se résumer à un travail d’adaptation cinématographique qui aura nécessité plus de 60 000 dessins fait main.

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[quote_left]même dans les parties animées, le jeu des comédiens donne à ces personnages colorées et irréels une humanité et une tendresse poignante[/quote_left]Car Le Congrès est avant tout une œuvre cinématographique, qui doit énormément au travail de réalisation d’Ari Folman, démontrant autant son aisance et sa beauté de composition dans les parties live qu’animées, mais aussi aux comédiens. On aura rarement vu un casting aussi irréprochable, notamment une Robin Wright à fleur de peau et émouvante dont la trajectoire du personnage n’est pas sans faire écho à sa carrière personnelle en dent de scie. A ses côtés, c’est un Harvey Keitel irréprochable auquel nous avons droit. Le tandem nous offre ainsi une composition et une sensibilité qui fera mouche dès les premiers instants du film. Sans oublier l’excellent Paul Giamati, Kodi SMitt-McPhee, Jon Hamm (en 2D seulement) ou Danny Huston (qui, allo, n’a pas de problème), l’ensemble du casting, des 1er au 2nd rôles fait mouche et livre la juste partition pour son personnage. Et même dans les parties animées, le jeu des comédiens donne à ces personnages colorées et irréels une humanité et une tendresse (ou une aversion, selon leur rôle) poignante. On savait Folman très bon dans le domaine de l’animation, on le découvre également excellent réalisateur live et directeur de comédien.

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[quote_left]Ari Folman et ses comédiens parviennent à mettre KO toute la salle et la plonger dans un profond mutisme[/quote_left]Cette alchimie entre réalisation et jeu des comédiens ne manquera pas de coller le spectateur à son siège et de lui coller les larmes aux yeux sans jamais trop tirer sur le pathos ou la sensiblerie. Ainsi, en l’espace de quelques scènes, entre une ouverture amère, une scène de « capture d’émotion » et un monologue de Keitel cruel, ou encore un « retour à la réalité » tétanisant, le film enchaîne les moments d’une beauté et d’une intensité rare. Ari Folman et ses comédiens parviennent à mettre KO toute la salle et la plonger dans un profond mutisme, un de ces silences qui évoque non pas l’échec de l’effet recherché, mais bel et bien que quelque chose de fort est en train de se nouer entre le spectateur et le film. C’est le plus grand tour de force du Congrès : en dépit de la richesse de ses thèmes, de cette volonté d’apparaitre « profond » qui ressort parfois des dialogues, de l’audace de sa narration dans deux univers qui aurait pu se révéler casse-gueule, ce film est un concentré d’émotions, de rires, de larmes. Tout spectateur qui fera le choix de se laisser porter par ce récit emprunt de mélancolie en ressortira forcément affecté, accompagné en cela par la superbe musique de Max Richter. Le Congrès aurait pu être un énième film de SF prétentieux et pompeux, mais Folman parvient à retourner cet écueil à son avantage et livrer un film globalement clair, bien que le côté ambitieux se ressente parfois, et toujours emprunt d’un lyrisme fort mais jamais exagéré. Peut être l’un des plus beaux films de l’année.

[styled_box title= »EN CONCLUSION » class= »sb_orange »]En adaptant un livre qui l’a profondément marqué, Ari Folman signe un film ambitieux et lui même profondément marquant. Intense, émouvant, Le Congrès est une franche réussite visuelle et artistique, un film audacieux comme on en voit trop peu aujourd’hui et qui donne à la SF une poésie et un enchantement qui fait souvent défaut aux blockbusters actuels, aussi réussis soient-ils. Abordant de nombreux thèmes, le nouveau film de Folman délivre un propos terriblement actuel malgré les 30 ans du bouquin dont il s’inspire. Peut être un peu trop riche pour parvenir à boucler tous ses arcs et ne pas survoler certains thèmes, Le Congrès offre néanmoins une expérience forte qui laisse sans voix, la gorge nouée, et qui hantera encore les esprits de nombreuses heures après sa sortie.[/styled_box]

Le Congrès, de Ari Folman. Avec Robin Wright, HArvey Keitel, Paul Giamati, Kodi Smitt-McPhee, Dany Huston, Jon Hamm. En salle depuis le 3 juillet 2013.

Tags : Ari FolmanCritiqueDanny HustonHarvey KeitelJon HammKodi Smitt-McPheeLe CongrèsLe Congrès de FuturologiePaul GiamattiRobin WrightStanislas LemVasle avec Bachir
Jérémie

Gentle Geek Jérémie

Consequences will never be the same !

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